L'aventure a pris fin,
les sacs à dos sont rangés. Pourtant, dans le long trajet qui nous ramenait en
France, des anecdotes sont revenues. Des instantanés, des croquis pris à la
volée, que nous n'avions pas partagé.
En guise de chapitre
« Bonus », voici quelques dernières images venues d'Ailleurs.
Vision lunaire.
Nous sommes assises le dos appuyé sur la yourte, dans les
seuls centimètres d'ombre que le pâturage saurait offrir. La journée a été
longue, nous sommes assommées par les cinq heures de marche en plein soleil. Un
cavalier, sorti de nulle part, se dresse devant nous. Sa peau plissée, ridée,
burinée par le soleil, trahit les saisons qui se sont écoulées. Il a les yeux
en amande et les pommettes hautes. Le vieil homme porte de hautes bottes de
cuir et une veste un peu large. Sur sa tête, il arbore fièrement le chapeau en
feutre brodé.
- Ad kouda?
(vous venez d'où?)
- Francia
(De France)
- Bonaparte Napoléon!
Sans attendre de réponse de notre part, il reprend les rênes
de son cheval et s'élance vers l'est. Serait-ce une vision?
Tâter du cuisseau
Au bord du lac Song Kol, à trois mille mètres d'altitude. Le
doyen du camp de yourtes est un vieux monsieur en costume rayé bleu marine,
complété du chapeau traditionnel. Drôle d'accoutrement pour une vie dans les
alpages. L'homme aurait 68 ans, à moins que nous n'ayons pas bien compris les
chiffres russes. Pas impossible.
Il engage la conversation. Il est drôle, avec sa curiosité
sans borne. Tout l'intrigue : mon téléphone, les Ray Ban de Justine qu'il
s'empresse d'essayer. Le contraste entre les montures roses, le costume et les
yourtes est décapant. Il s'adresse à Justine :
Lui : Vous êtes mariée?
Justine : Presque
Lui : ah, c'est bien
Et sans autre explication, voilà qu'il attrape le mollet de
Justine, pour lui tâter le cuisseau! Est-elle bonne à marier? Combien de
chevaux pour la dote?
Nous n'en saurons pas plus.
Grands éclats de rire une fois le vieillard parti.
C'est quelle vertèbre
à ton avis?
Notre second camp de yourte est plein de jeunes enfants. La
maman nous les présente. Elle en a trois, de six mois à sept ans. Il y a aussi
ses neveux et nièces, qui partagent le pâturage avec la famille.
La plus grande des filles nous inonde de prospectus sur le
tourisme communautaire et l'histoire du Kirghizstan. Elle apporte ensuit un
grand sac en plastique dans lequel se trouvent... des vertèbres de mouton.
Ah... Euh... Effectivement, on jouait aux osselets quand
nous étions petits. Mais ils étaient en plastique. Là, visiblement, ce sont des
vrais. Rien de plus normal, à la réflexion!
Les règles du jeu ont l'air simples. Il s'agit de faire une
pichenette sur les os pour les faire s'entrechoquer. Cependant, il faut toquer
deux vertèbres identiques. Pour ma part, impossible de les reconnaitre. De
plus, elles sont collantes et poisseuses. Je fais surement un peu ma mauvaise
tête, tant le contact avec les os me dégoûte. Je perds trois parties et cède le
tour à Justine. Solidarité!
Dératisation
Kazakhstan. Nous sommes parties aux aurores pour faire la
route aux heures les plus douces. Avec Niels et Léna, ainsi que sa sœur Nadja et son copain Dima, nous
prenons la route pour le canyon de Charyn.
9h20, nous arrivons à la guérite de l'entrée.
Le chauffeur descend pour saluer les gardes. Soudain de la
fumée sort du volant. De la fumée?? Ca sent le brûlé là! Le chauffeur revient,
ouvre le cache qui entoure le socle du volant. Il fait trop chaud, les câbles
ont fondu.
Justine, à demi-mot : Ca promet! Faudrait pas que le van
complet fonde, on a un train à prendre ce soir!
Le chauffeur n'est pas inquiet, alors, "normal na"
comme on dit par ici.
Par contre les palabres avec les gardes sont plus longs
qu'attendus.
Léna: Fermé? Comment ça s'est fermé?
Le gardien : Nous procédons à des mesures sanitaires
Léna : De quoi s'agit-il?
Le gardien : C'est pour la dératisation du canyon, pendant
deux jours
Léna : Aujourd'hui? Mais on a appelé hier, rien n'était
prévu
Le gardien : Le canyon ferme à 10:00. Vous avez 40 minutes
pour visiter.
Regards médusés des voyageurs que nous sommes. 40 minutes?
2400 secondes?? Alors que nous avions prévu d'y passer ... 4 heures??
Niels : Ah non, c'est pas possible! On n'a pas fait 4 heures
de route pour une balade de 40 minutes dans le canyon???
A priori si...
Nous descendons donc en voiture dans la gorge. Il y a plein
de petites bêtes poilues, qui ressemblent à des gerbies. Sont-elles porteuses
de peste? De choléra?
A l'entrée de la piste qui mène au canyon, nous verrons
d'autres véhicules stationnés. Ils sont arrivés après 10h et n'auront pas même
l'espoir de pénétrer dans la réserve.
Les militaires à l'entrée nous expliqueront qu'il s'agit
d'une mesure annuelle, décidée après les dernières pluies. Elle vise à éviter
les épidémies et la propagation des virus à travers la steppe.
Nous chauffeur est une perle. Il saura dans l'instant
proposer un autre circuit. A ses côtés, nous passerons treize heures dans les
reliefs du sud est du Kazakhstan.
Vous reprendrez un
peu de protéines?
Dernier dîner à Bishkek, où nous retrouvons Tohir. Il est
tadjik, a fait ses études à l'Université Américaine de Bishkek. Nous avons fait
sa connaissance à Paris, au cours de notre première expérience réciproque de
CouchSurfing. Il était alors en stage à La Haye, aux Pays Bas.
Nous le retrouvons en Asie Centrale. Depuis, il a appris le
français, qu'il parle presque sans faux pas. Il a décroché un poste en or pour
une ONG Allemande qui œuvre sur des problématiques de développement économique
dans la région. C'est avec grand plaisir que nous nous retrouvons pour dîner,
dans l'un des seuls restaurants de la ville qui sert des plats végétariens.
Les limonades sont services depuis un moment déjà. Voici les
plats. J'ai opté pour des spaghettis au pestos d'épinards et pignons de pain.
Un petit goût d'Italie en kirghizie!
La sauce est parfaite. J'approche ma première bouchée. Je
regarde, satisfaite, le contenu de mon assiette.
... Attends, ça bouge là dedans non?
Euh... Au milieu des pignons... Là... Ah c'est pas vrai?? Un
asticot aussi gros et gras que les pignons! Il aurait pu resté à couvert s'il
n'avait pas tant gesticulé. Le fourbe!
Beurk...
Je suis prise d'un fou rire, qui embarque instantanément mes
deux comparses.
Tohir rappelle la serveuse, pour lui signifier la présence
de protéines dans le plat végétarien! Elle rapporte l'assiette en cuisine,
revient cinq minutes plus tard.
Elle nous explique que c'est à cause des pignons. Puis me
demande si je veux commander la même chose.
Je réponds par l'affirmative... mais sans les pignons!
Instantanés - pris
sur le vif
- Au bord de la
route, des camions entiers chargés de melons et de pastèques. Devant leur
véhicule, des balances électroniques pour la pesée de la marchandise. Ils sont
parfois mis en valeur, sur le bas-côté, lustrés et brillants.
- En ville, des
femmes vendent des cigarettes à l'unité et proposent pour une somme modique, de
monter sur un pèse personne. Alors que chez nous se peser est assez pudique,
ici les gens le font en pleine rue. A croire que la balance n'a pas fait son
entrée dans les maisons
- Partout, tout le
temps. Les hommes sont accroupis, les pieds à plat sur le sol. Ils semblent
posés sur leurs mollets. Il faut être né en Asie Centrale pour réussir à tenir
cette position.
- A Kochkor, nous
cherchons à nous restaurer rapidement avant de reprendre la route. Nous
poussons la porte d'une cantine grouillante. C'est visiblement le point de
ralliement des militaires. Il y a aussi quelques familles. Les tables sont
recouvertes de toiles cirées fleuries. Sur chacune, il y a une bouteille en
plastique avec une sorte de vinaigre blanc et des légumes qui y marinent. La
cuisine bat son plein. Les marmites géantes sont pleines de Langman et de plov.
Il y a aussi des Mantis, ces gros raviolis fourrés à la viande et au gras. Le
balais des assiettes est aussi vif que le débit des convives.
Montant de l'addition pour nous deux : 1,20€. Imbattable!
- A la sortie
du bazar de Och, nous cherchons un coin
de verdure pour pique niquer. Nous bifurquons le long de la rivière. Quelle
surprise! Nous pénétrons dans une vaste fête foraine, pleine de bruits
d'enfants. Les attractions sont colorées. Ici une grosse chenille orange, là
des tirs de fléchettes. Une petite gamine passe devant nous dans une voiture télécommandée
par son grand frère. Partout, des vendeurs de glace et de boissons. Les adultes
ne sont pas en reste. Vision chimérique d'un paradis caché.
- L'alcool fait des
ravages, nous faisons de tristes rencontres. Dans la marchroutka qui nous
conduit d'Issy Koul à Bishkek, un homme complètement imbibé à 7h du matin vient
traîner sa loque dans le minibus. Le bougre tient à peine debout. Il empeste
l'alcool. Le véhicule est presque plein, des femmes montent à bord. Bien sûr,
personne ne souhaite s'en faire un voisin. Un gaillard se dévoue, cède sa place
à une dame. Dans le fond du bus, il attrape l'épave par le col et le redresse
sans mot dire. Il calle ses larges épaules dans le siège, ne laissant plus
d'espace à l'alcoolique pour étaler sa misère. Il descendra deux heures plus
tard, il tient à peine debout. Je revois également cette femme, assise sur un
trottoir à Bishkek, un ours en peluche à ses pieds. Au-delà de l'alcool, c'est
surement l'héroïne qui a fait des ravages. Les routes de la Soie masquent une
autre réalité, c'est des routes de l'opium. Cultivées en Afghanistan voisin,
les drogues traversent les frontières sans passeport.
- Un moelleux
incomparable, une texture douce et un léger goût de levure. Impossible de clôre
ce carnet de route sans parler une nouvelle fois du pain Kirghize. Nous en
avons mangé sans compter, tartiné de confiture d'abricots et trempé dans un thé
noir brûlant. Il y a aussi ce cake à la crème de lait de jument, préparé au
petit déjeuner du dernier jour de notre expédition dans les alpages. Il me
rappelle les après-midi avec mes cousines chez Madame Prieure. Tante Claudette,
toi qui me lis, sache que tu as des consœurs en Asie Centrale qui partagent ta
recette (au détail près de la provenance du lait!)
Il y aurait surement
beaucoup d'autres choses à raconter, des petits détails sortis de nulle part,
ces choses du quotidien qui n'interpellent que ceux qui ne les connaissent pas.
Voyager, c'est ouvrir
les yeux sur l'inconnu et sur ce qu'on imagine connaître. C'est s'interroger
sur tout et ouvrir sa curiosité au plus élémentaire. Nous espérons vous avoir
fait partager un petit peu de tout cela au travers ces récits de voyage.
Bon été à tous!
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