jeudi 18 août 2016

[Chapitre 19] Bon, on y va là???

Notre expédition kazakhe prend fin. Il est temps de regagner Bishkek, d'où nous prendrons l'avion pour Paris.
 Nous avons des billets pour un bus de nuit, de Shimkent à Bishkek. Départ 18:30, arrivée 3:30 du matin, Inch Allah.
 
Il est dix-huit heures et le thermomètre du taxi affiche encore 40 degrés. L'air est sec, brûlant. Il pique les yeux, assomme les organismes peu habitués à de pareils climats (surtout ceux qui crapahutent quand même en plein soleil, parce qu'on ne vit qu'une fois et que les vacances sont trop courtes!).
 
La gare routière est une fournaise. Nous achetons de l'eau avec les quelques derniers tengués qu'il nous reste. Nous avions vu un peu court dans le retrait au distributeur alors on tire sur les bouts de chandelles. Il nous reste de quoi acheter de l'eau, du pain et payer la pause pipi. En fait, on est large quoi!
 
Le bus... Que dire? Huit heures de trajet nous attendent dans une vieille boîte de conserve... Premier constat, première analyse de l'extérieur : les vitres ne s'ouvrent pas. Alors soit il y a la clim et on va mourir congelées, soit elle ne fonctionne pas et on va mourir étouffées. On a envisagé, naïvement, la première solution. Nous avons prévu drap de soie, pulls et chaussettes.
 Pas de chance, on s'oriente vers l'option 2.
 
18:35, on cuit sur le bitume de la gare. Bon, on y va là?
 
18:40, on dégouline et on suffoque à l'intérieur du bus. S'il fait encore 40 dehors, il fait bien 50 à l'intérieur. Une pauvre lucarne sur le toit laisse péniblement entrer un peu d'air. La fenêtre du chauffeur s'ouvre de 15cm tout au plus.
 Quant au confort de l'appareil, il me rappelle la machine infernale de Charly Chaplin. Entre l'accoudoir qui ne tient pas fixé, le siège qui s'incline quand on s'appuie sur le dossier et le strapontin avant qui se couche à chaque freinage, rien à dire, c'est un bus flambant neuf!
 
Enfin la boîte de conserve quitte la ville... doucement... Le bus doit péniblement atteindre une vitesse de pointe de 60km/h. Il donne toute l'énergie qu'il lui reste pour doubler des camions chargés de charbon. A l'approche d'une côte, le chauffeur passe la première et le bus s'essouffle à monter le petit raidillon. A ce rythme-là, on n'est pas arrivées au Kirghizstan. Et cette chaleur. Il n'y a pas d'air. Je commence à perdre mon sang froid. 9:00 de bus dans ces conditions-là, je crois que je vais perdre patience.
 
Nous voilà parties depuis une heure et demi tout au plus. Le chauffeur active les warning, se gare sur le bas-côté. Il empoigne sa caisse à outils et descend.
Ah c'est pas vrai??? Il nous fait le coup de la panne là??? Mais quelle idée de laisser rouler une poubelle pareille?
Le conducteur et son assistant ouvrent le coffre arrière, où se trouve le moteur. Ils font des tests. L'un revient au volant et crie des instructions au second, qui vérifie et répond. La nuit commence à tomber. On n’est pas arrivées, je vous le dis!
On en profite pour sortir respirer un peu d'air "frais", et discuter avec les passagers. Nous faisons la connaissance de Marat. Il habite Shimkent et se rend à une conférence internationale à Bishkek. Il est sourd et s'attache à communiquer avec nous avec des gestes et des mots simples. Nous apprenons quelques mots de langue des signes. Il est jovial et attentionné. Il a une bonne bouille.
 
C'est l'heure de repartir... pour s'arrêter vingt minutes plus loin. C'est la pause " Dîner".
C'est pas possible? Vous pensez qu'on va arriver à Bishkek avant demain matin???? Dîner, mais quelle idée... il s'écoule peut être une demi heure.
J'invective le chauffeur. Bon, c'est bon là? On y retourne?
 
A priori le bus semble redémarrer. Sur la route, d'autres bus, flambants neufs, nous narguent et nous doublent à pleine puissance
 - "Maman, pourquoi nous on a un vieux bus pour aller à Bishkek?" Demande une petite fille à sa mère. Excellente question, on se la pose aussi!
 
Il fait nuit noire. Difficile de s'endormir tant c'est inconfortable. A chaque zone de contrôle de police, le chauffeur rallume les néons. Et les pauvres voyageurs sont simultanément réveillés.
 
Une heure trente du matin, approche de la frontière. Une file interminable de camions de fret attend de passer les contrôles. Pour les piétons tout va très vite.
 Justine passe le contrôle de sortie du Kazakhstan.
 Le douanier :  Visa?
 Justine : Pas besoin
 Le douanier : Visa?
 Justine : Pas besoin, je suis française
 Un tampon, et hop, bye bye Kazakhstan
 
Vient ensuite mon tour.
Le douanier :  Visa?
Marine : Pas besoin, je suis française. Le ton est sûrement un peu sec.
Le douanier : oui, bah ça va. Je demande, c'est tout!
N'empêche que ca a l'air bien compliqué dans sa petite tête de douanier. Je ne sais si c'est à cause de l'heure avancée, mais les connections se font mal...
 
Retour au Kirghizstan. Une petite virée "pause pipi". On touche les tréfonds de l'horreur. On a déjà eu des endroits puants et immondes, mais là c'est la dignité qui en prend un coup. Les "trous" sont alignés les uns à la suite des autres, sans porte. Evidemment, c'est l'heure d'affluence. Faut parfois savoir prendre sur soi et se dire que l'immersion ca passe aussi par là... Par contre on ne traine pas hein^^.
 
On remonte dans le bus. Énième contorsion pour trouver le sommeil. Assommée par la nuit et la chaleur, je finis par sombrer aussi.
 
Quatre heures du matin. Le chauffeur allume les lumières et s'époumone "Bishkek! Bishkek !"
 Les taxis sont déjà à l'assaut des voyageurs groguis. Justine est dans les choux, je descends les sacs et réveille mes neurones. Ramasser les souvenirs des tarifs, du coût de la vie, du prix des courses précédentes. Se remémorer l'adresse de l'hôtel et comment on y va. Remettre le cerveau en marche avec la devise locale, alors que nous utilisons la monnaie Kazakhe depuis huit jours maintenant.
 
Le chauffeur de taxi nous demande l'adresse. Je lui demande le prix de la course :
Lui : 200 soms
Moi : Ca va pas la tête? C'est juste a coté, 5 minutes en voiture
Lui : mais non, c'est loin. C'est le prix normal
Il me tend son téléphone pour inscrire ma proposition
Moi : 100
Lui : 150
Moi : Mais l'ami, c'est à 5 minutes! Tu prends l'avenue et au bout à droite. C'est trop cher là!
J'écris 120 sur son téléphone. Je crois qu'on le fait bien rire avec ses collègues taxis. Il finit par acquiescer avec un grand sourire. Allez, zou, à l'hôtel!
Après réflexion, on n'a jamais payé aussi peu cher pour aller à la gare de Bishkek, même en plein jour.
 
Enfin, nous y sommes. Nos deux lits nous attendent dans le dortoir de l'Interhouse Guesthouse. Notre dernière journée à Bishkek sera chaude et tranquille. Au programme, shopping, ice cream et balades. Me voilà chargée d'un tapis de yourte, qui rentre péniblement dans le sac à dos.
 
Ce soir, nous retrouvons Tohir, un Tadjik que j'avais hébergé via Couchsurfing. Dernière soirée kirghize avant de reprendre l'avion. Les sacs sont bouclés. Ca sent la fin de l'aventure...

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