jeudi 18 août 2016

[Chapitre 7] Galerie de portraits

Moment de silence, de langueur. Rien à faire, à part discuter avec soi-même devant le paysage qui défile au travers les fenêtres du bus. Je plonge dans mon passeport, le feuillette discrètement.
 
C'est sa dernière escapade. Il devra bientôt rendre les armes.
Témoin du temps passé, il porte le contour des contrées parcourues. Au travers lui défilent les souvenirs, s'accrochent les images capturées dans le Lointain.
En cette paisible soirée, je balaye, furtivement, la galerie de portraits, des visages parfois éphémères. Ce sont des destins qui se croisent, au détour d'un chemin, et qui souvent s'évaporent. Il y a une dose l'instantanéité quoi qu'on puisse parfois s'y accrocher.
 
Juin 2007, en haut de la citadelle qui surplombe Belgrade. Un cabot miteux nous emboite le pas. On le surnomme « Struddle ». Il a une bonne bouille et nous suivra pendant 2 jours. Premier tampon, serbe. C'est l'inauguration, les pages encore vierges.
 
Septembre 2009, Gwalior, "cité hors des sentiers battus pour les voyageurs en quête d'authenticité" (Guide du Routard). C'était au delà de nos espérances pour une première journée décapante en Inde du Nord. On fait la connaissance d'un jeune indien, 27 ans et célibataire. On le reverra à Delhi à la fin du séjour. D'un naturel sans borne, il nous demande de lui faire une démonstration de French Kiss. Euh... non, c'est pas sur commande! Décalage culturel quand tu nous tiens...
 
Singapour, été 2010. Mes premières heures d'expatriation. Une colloc' super, une équipe de choc. Six ans après, chacun a suivi sa route mais les nouvelles parviennent encore d'un continent à l'autre.
 Je profite des week-ends pour faire mes premières armes de voyageuse solitaire. J'accumule fièrement les tampons, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Pas vraiment de quoi me vanter pour autant.
 Malacca. Je revois la réceptionniste d'un hôtel bien trop cher attraper son bottin et appeler, un à un, les auberges pour me dégoter une chambre, alors que tous sont complets. Il est 22:00, je n'ai pas de logement, peu de budget et je suis au bord des larmes. Erreurs de débutante. Les bus retour sont complets également. Je réussi à trouver un billet pour le lendemain matin à 11:30. Le séjour va être court.
Cameron Highlands, les plantations de thé du centre de la Malaisie. J'ai appris de mes erreurs et j'ai organisé mon week-end. J'ai même fait la connaissance de Lise, une parisienne, qui cherchait un binôme de vadrouille sur un forum de voyageurs. Son copain l'a plaqué, mais comme elle avait les billets et pas envie d'annuler, la voilà en Malaisie. Moi aussi. On s'écrit, on s'entend bien. On se retrouve là-bas, pour un treck dans la jungle, une cueillette de fraises et ma première expérience en stop. On s'est écrit quelques années durant, sans jamais se revoir. Elle continue à commander du thé des Highlands par internet pour ses petits dej français!
Il y a aussi cette américaine, Mary, 20 ans et déjà doctorante. Un petit génie au bord de l'implosion qui fait un break pour découvrir le monde. Destins croisés à Kuala Lumpur, Singapour puis Paris. Le monde dans un mouchoir de poche!
 
Mes envies d'ailleurs sont de plus en plus pressantes. Mon master en poche, je mets le cap sur l'Asie Centrale.
5 juillet 2011, début de l'aventure turkmène. Mon visa m'en rappelle la date. Avalanche de rencontres, belles comme décevantes. Collègues, compagnons d'aventures, parfois d'infortune, partage de rires et de pleurs. La galerie des portraits est riche, les liens tissés sont forts. Nicolas, Ana, Justine, Thierry, Gilles, Benoît, Marine M., Yulia et tous les autres. Ceux qui n'y étaient pas ne peuvent pas comprendre. Certains de vous me lisent.
 
Novembre 2011, jours fériés et livraison du Palais des Congrès. Besoin de prendre l'air. Un visa pour Moscou. Rien. Aucun visage ne me revient. Les rencontres sont aussi pauvres que mon humeur d'alors est sombre.
 
Ninh Bim, la baie d'Halong terrestre. Nous sommes en mars 2012, je mets le cap sur le Vietnam. Une jeune femme, la trentaine, me demande avec un fort accent français si le bus va au dit endroit. On engage la conversation. De fil en aiguille, de questions en réponse,nous nous découvrons cousines. Elle s'appelle Fahy et mon frère travaille pour son oncle. Le monde peut-il être plus petit?
 
Le visa Ouzbèke est aussi bleu que le turquoise des Medersas. Il me rappelle un soir d'orage. Les nuages noirs laissent passer quelques rais de lumière sur le tombeau de Tamerlan. Une soirée inoubliable de mai 2012, dans la mythique Samarcande. Je partage le dîner avec deux français, Jean Christophe et sa soeur Florence, venus découvrir les trésors de la région. Je me dis qu'il faut être bien téméraire et aimer les découvertes insolites pour s'aventurer ainsi hors des sentiers battus.
 
D'autres tampons, moins drôles. Un aller-retour à Paris au chevet de ma grand mère. Juin 2011.
 
Retour en France par le chemin des écoliers. Pas de visa dans l'espace Schengen.
 Octobre 2012, un tampon marocain.
 
2013-2014, je suis envoyée en mission dans le Loiret. Mortel. Mais les notes de frais permettent de voyager à un rythme effréné. Les visas se bousculent, les portraits s'entrechoquent. Je note les principaux.
 
Mai 2013, virée au Caire en pleine révolution, regain de tensions. Je revois le regard dépité de notre guide dans le musée national, place El Tahrir, alors que les vestiges archéologiques s'abiment à vue d'oeil. Que restera-t-il pour nos enfants?
 
Décembre 2013, Afrique du Sud. Un couple de golfeurs rencontrés le temps d'une rando-baignade au canyon de la rivière Blyde. Un bon moment. Je ne crois pas que nous ayons échangé nos coordonnées. Beaucoup de souvenirs avec Nicolas : le réveil en pleine nuit par un blaireau qui vandalisé notre poubelle, les heures de route à slalomer entre les nids de poule, la perdition en mode "j'irai dormir chez vous"...
 
Avril 2014, échappée arménienne. Un tampon violet, une écriture cunéiforme magnifique. Souvenir de "Papi Taxi", un petit monsieur à qui nous demandons la route d'un monastère alors que nous sommes perdues. Il s'invite dans notre voiture et nous guide jusque là. Il nous attend, on le ramène et il nous invite à dîner. Le tout avec beaucoup de bonne humeur et de sympathie.
 
Décembre 2014, la Familia Grande colombienne !
 Il y a aussi ce couple de français qui a tout plaqué pour venir ouvrir un resto français dans un village de pêcheurs. Je crois que je les envie un peu. Qui sait, un jour peut être...
 
Voyage au pays des interdits. Visa iranien, mai 2015. Je scelle la fin de mon passeport tant ce visa est lourd de conséquences. L'embargo économique n'est pas encore levé. Il le sera dans 2 mois mais nous n'en savons rien. Avalanche de belles rencontres.
Dans la belle Ispahan, nous nous lions d'amitié avec Payam et Elaheh. Rimbaud, Verlaine et Zaz partagent avec nous une glace au safran. Je ne peux oublier les traits rieurs de Nasser Izadi, héro de la guerre Iran Irak, auprès duquel nous passons une nuit mémorable aux pieds d'un caravansérail. L'interrogatoire des mollahs et les vidéos prohibées du Shah s'ajoutent au souvenir.
 
Notre épopée nomade saura-t-elle est aussi riche en rencontres? Les portraits resteront ils gravés aussi longtemps dans ma mémoire?
Après une semaine de voyage, nous mesurons que l'hospitalité kirghize reste assez froide et distante. Mais ne tirons pas de conclusions trop hâtives...

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