samedi 2 janvier 2016

[Chapitre 14] Saint Louis, aux portes du Sahel

Saint Louis nous ouvre ses portes.

Le trajet a été laborieux. Nous avons quitté, à regret, les courbes sinueuses de la piscine paradisiaque des Amazones. Réveil agité. Mon estomac manifeste un mécontentement acerbe. Pourtant je ne crois pas l'avoir beaucoup contrarié...  Refusant d'écouter ses gerémiades, nous sautons dans un "sept places". Il n'y a pas de trajet direct, il nous faudra changer à Thiès, à 1h30 de là. La chaleur, les odeurs, les chaos de la route... La situation se complique pour la Petite Marine. Pourtant, maintenant que nous sommes lancées, impossible de reculer. La vieille 505 est une carcasse roulante, un tombeau ouvert... Nous nous  résignons à  faire une halte "sanitaire" à Thiès.
Après une bonne nuit de sommeil, nous prenons route vers Saint Louis, à l'embouchure du mythique fleuve Sénégal.
Nous voilà dans l'ancien comptoir colonial, à moins de 3km de la Mauritanie. En huit jours, nous avons parcouru le pays du sud au Nord, de la frontière Gambienne à la Mauritanienne. Nous ne pourrons pas pousser l'aventure jusqu'en Casamance, pourtant l'une des plus belles régions du pays. N'écoutez pas les mauvaises langues, les regards lointains ou les actualités, qui font état de guerre civile sur place. Les avis sont unanimes, c'est encore de la désinformation. Au pire, il s'agit de brigandage et de quelques pillages, sous couvert de réclamations faussement indépendantistes.

Saint Louis, malmenée par le temps. Les bâtisses coloniales rêvent d'un glorieux passé. Cependant, elles accusent le poids des années. Façades décrépies, entretien malheureux... Que reste-t-il de la grandeur d'antan? Nos manuels d'histoire se souviendront sans doute que Saint Louis, ainsi nommée par Louis XIV, fut la première colonie française d'Afrique. Les belles demeures respirent la poussière,  les balcons en fer forgé se creusent de rouille. Il reste quelques belles portes cochères en bois, miraculeusement conservées. Il flotte malgré tout une atmosphère paisible, entre les murs ocres et rouges des patios ombragés. Pour forcer encore un peu le destin, les touristes ont tourné les talons. Saint Louis, victime successivement de la crise économique de 2009 et de l'insécurité dans la région du Sahel. Pourtant ici, nous sommes loin de Daesh.













Fleuve Sénégal, mythique parmi les grands cours d'eau. Frontière naturelle avec la Mauritanie, le Mali et la Guinée, il en a vu passer des combats, des esclaves, des pêcheurs et autres embarcations de fortunes. Le fleuve sera un axe important pour la traite des esclaves puis celle des billes de bois tropicaux. C'est sur les bords du fleuve que les navires arabes et occidentaux de bois, puis les cargos viennent chercher les équipes d'ouvriers souvent très modestement payés.

Nous partons découvrir le parc Naturel de la Langue de Barbarie. Il s'agit d'une longue presqu'île sableuse séparant l'île de Saint Louis de l'océan Atlantique. Cependant, celui qui s'oppose aux règles édictées par Mère Nature doit s'attendre à subir son courroux. En 2003, Saint Louis est menacée par la montée des eaux du Fleuve Sénégal. Pour détourner l'eau, une brèche est percée dans le banc de sable. Malheureuse initiative... Depuis lors, la trouée ne cesse de s'agrandir, ouvrant la voie à un désastre écologique sans nom. Eaux douces du Fleuve et saline de l'océan se mêlent, conduisant à la disparition des espèces autochtones et à l'ensablement d'une partie de l'embouchure. Parallèlement, la brèche ne cesse de s'agrandir, encore et toujours...

La pirogue qui nous conduit sur la langue de sable blanc toussote. À l'évidente, le moteur peine. L'embarcation s'arrête. Le piroguier amorce à nouveau le moteur, le relance. Encore une fois. Rien. Enfin, dans un souffle pulmonaire nous voilà de nouveau en route... Quelques minutes plus tard, mêmes symptômes. Les idées filent dans nos têtes : la berge est un peu loin et le courant trop fort pour imaginer rentrer à la nage. Des pêcheurs viennent accoster sur notre pirogue pour réanimer le moteur. De longues minutes plus tard, la machine redémarre. Le temps d'une visite sur une île où nidifient des sternes, nous retrouvons notre pirogue, secourue par une seconde. Hypothèse évidente : l'ambulance est venue mettre un peu d'essence sous perfusion à la pirogue convalescente. Étonnamment, elle retrouve toutes ses forces.







Après une balade dans Saint Louis, un dernier Tieboudienne, il est temps de repartir. La chaleur est étouffante. L'air est brûlant. L'Harmattan souffle ses premières bourrasques chaudes et poussiéreuses. Dehors, les vastes étendues sont encore vertes, mais pour combien de temps? L'hivernage touche à sa fin, les dernières gouttes de pluie arrosent les prairies. Les paysages du Sahel seront bientôt aussi secs que la paille.






























Nous mettons cap sur Dakar. Fin de l'aventure.

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Chers lecteurs,
Ainsi se termine les aventures de la petite Marine au pays de la Teranga, des baobabs et du Tieboudienne.
J'espère que ce crapahutage vous a plu.
À bientôt pour d'autres aventures,

Marine

[Chapitre 13] Ci-gît près des flots

Nos pérégrination nous conduisent dans les bras de la petite côté. L'ultra touristique Saly a accueilli le club Med, les Bronzés, les Seins Nus et autres fêtards de tous poils. À priori, elle avait peu de chances de nous trouver là. Pourtant, c'est dans une ferme établie de longue date que nous posons nos bagages. En bord de plage, les cases d'antan ont laissé place à une superbe résidence aux murs rouges, encerclant une piscine démesurée. Nos envies de luxe se concrétisent. On remise pour deux nuits le costume du routard poussiéreux pour enfiler le maillot de bain et la serviette de table. Fini le Tieboudienne, nous te découvrons les joies de la gastronomie locale, mariant savamment saveurs francophiles et produits locaux. Après avoir langoureusement profité alternativement de la mer et de l'océan, nos estomacs savourent un repas d'huîtres. Fraîches puis gratinées, les huitres de palétuvier offrent un goût différent de celles que nous consommons habituellement.




Après avoir nourri le corps, il est temps de satisfaire notre curiosité. Nous prenons la direction de Mbour, où se tient l'un des plus grands marché aux poissons du Sénégal.
Nous longeons la plage de Saly. Force est de constater que l'érosion côtière à fait des ravages. Vingt années durant, calèches et camions sont venus piller le sable de la côte, provoquant irrémédiablement l'avancée de la mer. Aujourd'hui, la plage a triste mine. Elle s'étire sur un fin bandeau de sable d'à peine vingt mètres de largeur. Partout, des déchets divers viennent souiller le sable blanc.
Nous sommes contraintes de slalomer entre les têtes de poissons, les tongues esseulées et les bouteilles éventrées. Le spectacle de la décadence d'une génération élevée au plastique. Plus loin, la charogne d'une chèvre gonflée au soleil laisse présager d'une putréfaction avancée. Les entrailles quittent la carcasse dans une viscosité purulente. Je ravale un haut me cœur et me concentre sur les vagues qui courent vers mes pieds.
Nous arrivons auprès d'un banc de pirogues colorées. "Sunu Gaal" signifie "notre pirogue", qui dérivera vers Sénégal pour donner son nom au pays. Il y a les petites pirogues, parties en mer pour la journée. D'autres, plus grosses, permettent de naviguer jusqu'aux côtes gambienne, riches en poisson. Ce sont ces mêmes pirogues, surpeuplées, qui prennent bravent l'océan pour atteindre l'Europe et ses chimères.

Bientôt M'Bour. La plage est de plus en plus réduite. Nous slalomons entre les embarcations et les détritus. Enfin, nous arrivons au marché aux poissons. L'animation n'est pas au zénith en cette fin d'après-midi. Les pêcheurs ne sont pas encore rentrés au port. Déjà les femmes s'affairent. Le défilé des boubous colorés, des foulards assortis, des bassines portées haut sur le crâne. Le spectacle est dépaysant à souhait. Par terre, les vendeuses écoulent leur marchandise. Point de balance, mais des " tas" de 3 ou 4 pièces. Maquereaux, barracudas, lotte, poisson chat, thon... Les pièces luisantes sont offertes au regard des badauds. À quelques encablures, la criée.
Nous arrivons au marché aux coquillages. Les escargots de mer sont ôtés de leurs coquilles, qui s'amassent en une montagne de brisures rouges.
Au sol, des milliards d'asticots grouillants gesticulent anarchiquement. Mon cœur se soulève. J'ai depuis longtemps dépassé mon seuil de tolérance. Tout me révulse. Les détritus, les centaines de mouches, les poissons qui attendent en plein soleil, les effluves nauséabondes du poisson qui se raffermi au soleil. Nous rebroussons chemin. Sous un apparent bordel, la situation est incroyablement organisée. Une zone pour chaque type de pêche. Plus loin de trouve la zone de conditionnement et d'expédition. Ici gisent de vieux frigos venus d'Europe, naufragés et recyclés pour une dixième vie ici. Là-bas se trouvent les poissons pourris, présentés sous forme de montagne de chaire en décomposition. Ils trouveront tous acheteurs.

Je me refuse à avancer d'un seul pas supplémentaire. On tourne les talons. En route pour les taxis. Bientôt les étals de légumes. Ce sont ceux qui accompagnent le Tieboudienne, plat national sénégalais. Autrement traduit par riz au poisson, il s'agit d'un riz pilaf accompagné de légumes et bien sûr, de poisson. Celui-ci est parfumé d'un mélange de persil et de piment. Choux, patate douce, carottes et aubergines accompagnent l'ensemble. À ce moment, je n'ose même plus penser aux derniers moments traversés.

Arrivées à l'hôtel, je me douche sans tarder pour évacuer les traces de cette virée nauséabonde.

[Chapitre 12] Au cœur du Bamboung

Difficile de trouver une destination plus reculée. On arrive rarement au Bamboung par hasard. Il faut un grain de folie, une étincelles intrépide, une envie profonde d'atteindre l’inatteignable. Il faut avoir à chœur d'accéder au luxe de l'inaccessible.

Aux confins du delta du Saloum, un bras de mer (autrement appelé bolong) retient l’attention du voyageur. La nuit venue, les poissons bondissent et les varans se laissent glisser dans les eaux chaudes de la mangrove. Un site exceptionnel entre terre et mer, posé dans le méandreux delta du Sine Saloum où la mangrove dense et de majestueux baobabs composent le paysage.
Dans les années 2000, ce patrimoine naturel marin et côtier est menacé par les activités humaines telles que la pêche, la chasse, la destruction des habitats et les pollutions diverses. Suite à la conférence de Durban, en 2003, les états participants s'engagent à créer 10% de parcs naturels sur leur territoire. Afin d’assurer durablement une régénération des ressources halieutiques locales, 14 villages de la communauté rurale de Toubacouta s'organisent avec succès pour créer la première Aire Marine Protégée Communautaire (APMPC) fonctionnelle d’Afrique de l’Ouest : l’AMPC du Bamboung. Des lors, l'exploitation des ressources naturelles et halieutiques est interdite. Cependant, il faut trouver des ressources compensatoires pour les populations locales et modifier leurs activités génératrices de revenus. C'est ainsi que le campement de Keur Bamboung, au cœur de cet écosystème protégé, voit le jour. Il emploie une vingtaine de gardes qui surveillent et dissuadent les braconniers, ainsi qu'une trentaine de guides, cuisiniers, jardiniers... en charge de la tenue du campement. Ce dernier héberge essentiellement des volontaires venus replanter la mangrove, des colonies de vacances et quelques touristes échappés des voies trop bien bitumées. Le confort est sommaire mais l'endroit est bien propre. Les cases traditionnelles sont équipées de douche, wc et moustiquaires. La vue est imprenable.

Ecoutez... Ce silence.
Observez... La voute étoilée que seules les rares lampes torches sauraient troubler.
Respirez... Cet air qu'aucun véhicule ou usine n'ose souiller.


La nuit est noire maintenant. La brise qui se lève annonce un orage incontournable. La saison des pluies se prolonge plus que de raison cette année. Nous rentrons nous mettre à l'abri dans notre case en paille. Les éclairs se font plus nombreux. La lumière blanche semble traverser la maison de part en part. Même les fenêtres fermées, c'est comme dormir à la belle étoile. Le bruit fait tressaillir, l'orage se rapproche. Il tourne. Nous retrouvons nos 8 ans, tremblant au moindre grognement de mère nature. Avouons qu'on n'en mène pas large, au milieu de nulle part, en prise aux éléments... Enfin, l'orage s'éloigne. La température s'est considérablement abaissée. Nous plongeons dans un sommeil de plomb, dérangé par le seul bruit des oiseaux et des hyènes qui rodent.
Les journées filent tranquillement, entre balades en canoë, découvertes pédestres de la mangrove, virée au village et sortie nocturne pour observer les hyènes. Malheureusement, elles ont décidé de nous narguer. Nous les entendons ricaner au loin. Elles ne daigneront pas montrer le bout de leurs oreilles!





Dernier jour au Bamboung. Nous faisons la connaissance du conservateur de la réserve. Un type jovial au visage rieur. Il est venu faire le comptage mensuel des oiseaux de l'aire marine. Il ne paie pas de mine avec son t-shirt distendu et son bloc note de fortune.  Le déjeuner terminé, nous allons à sa rencontre. De discussions en plaisanteries, nous parlons de la réserve, du campement, de notre venue ici, de ses projets futurs, de son idée d'élevage de porcs à la frontière de la Guinée Bissau... Nous expliquons que nous ferons route vers la côte le lendemain. Lui rentre à Dakar : "Je vous remonte? Rdv à Toubacouta?". Nous apprendrons dans les minutes qui suivent que c'est un haut fonctionnaire de l'État, Commandant dans l'armée. L'homme force le respect. Nous avons une chance folle d'avoir pu discuter avec " le Commandant", alors si en plus il nous ramène, c'est au delà des espérances. Toute l'équipe du Bamboung nous signifie à quel point nous sommes choyées par le sort. Outre l'intérêt humain de la rencontre, nous bénéficions de conditions de transport inespérées. Nous ferons la route en 4x4, suspension renforcée et ceintures de sécurité. Les 150km s'avalent sans encombre. Autrement, il aurait fallu poursuivre vers le sud jusqu'à la frontière gambienne on ne sait trop comment, puis mettre cap vers le nord en Sept-Places, ballotées sur de mauvaises pistes.
Nous accompagnons le Commandant à la préfecture pour y déposer divers permis. Le temps des formalités, nous faisons la connaissance de son collègue, conservateur également. Il nous présente le projet sur lequel il travaille. Ingénieur agronome spécialisé en sociologie rurale, il a une double certification en préservation de la mangrove. Il nous explique la démarche communautaire, l'implication des populations locales, la prise de conscience environnementale alors même que la mangrove était en danger de disparition. Il y a les projets de reboisement d'eucalyptus pour éviter la coupe de bois de mangrove pour faire du charbon, la création de parcs à huitres, mobilisant les menuisiers des environs, pour contourner les coupes sauvages de branches de mangrove sur lesquelles poussent les huitres. Le projet est soutenu par une ONG hollandaise et relayée par le ministère de l'environnement. L'évaluation a mi-parcours a été très favorable. La marche est encore longue mais le train est lancé. Lui aspire à d'autres fonctions. Il aimerait reléguer au placard son treillis de conservateur, au profit d'une chemise blanche!

Nous reprenons la route. Malheureusement, le bac est "en pause" de 11:30 à 15:00... Arrêt forcé. On en profite pour déjeuner. Ce sera un n-ième Tieboudienne. C'est un savoureux riz au poisson, que je mange chaque midi depuis près de 3 semaines maintenant. Mais je ne m'en lasse pas!

Enfin, nous pouvons repartir. Plus que 85 km avant d'arriver à Mbour, en bord de l'océan.

[Chapitre 11] lorsque soudain…

Cette fois c'est fini. Ma mission de congés solidaires touche à sa fin. Pour autant, l'aventure continue, pour une dernière semaine de découverte du pays.

Je boucle mon sac à dos. Samedi 3 octobre, 5h45. Le réveil sonne. Une longue route nous attend. Nous mettons le cap sur la région du Sine Saloum, à environ 200km de Dakar. Nous nous apprêtons à découvrir de vastes paysages, faits de mangroves, de savanes et de larges étendues sauvages. Avant tout cela, il nous reste un trajet rocambolesque.

6h15, nous sautons dans un taxi. Arrivées à la gare routière de Baux Maraîchers, nous suivons le flot humain qui se dirige vers un espace couvert et animé. Un homme nous indique d'avancer pour atteindre le point de départ des Sept-Places à destination de Toubacouta. Nous découvrons le type de véhicule qui devrait nous conduire, Inch Allah, à bon port. Il s'agit de vieille 505 break, avachies et fatiguées. Pourtant, force est de constater que ça roule ! Comme leur nom l'indique, elles transportent 7 passagers + le conducteur. Il reste 2 places dans le véhicule, prêt au départ. Elles sont à l'arrière, là où les sièges sont les plus inconfortables! Nous attendrons le suivant. Le véhicule est plein, il s'élance dans un nuage noir de pollution.
Nous nous serrons dans la 505 suivante. Le placeur a gardé les meilleures places pour les Toubabs que nous sommes, comprenez les étrangères. Nous ferons route avec une famille gambienne. Nous reconnaissons leur Wolof teinté de mots anglais. C'est parti!


La voiture s'élance lentement sur la route qui tourne le dos à Dakar. Je salue au passage la Maison des Amis de la Nature. Les heures s'égrainent aussi vite que le permet la chaussée inégalement bitumée, faite de creux, de bosses et parfois d'un goudron impeccable.
Le conducteur pilote prudemment mais efficacement. Je jette un œil au compteur à bout de souffle. Il flirt difficilement avec les 70km/h. À ce rythme, on n'est pas encore arrivées... Les paupières lourdes, je m'abandonne chaotiquement dans les bras de Morphée. Les soubresauts du véhicule me tirent d'un trop léger assoupissement. Soudain, 3 cochons s'avancent sur la chaussée. Vous ici? Quelle surprise! En terre d'Islam? Etes-vous perdus?? Au fil de quelques discussions, nous apprendrons que cette viande n'est pas prisée que des chrétiens, mais aussi des "musulmans de gauche" ! Sourire...
Nouvelle étreinte avec mes songes, bousculée par la piste qui se désagrège progressivement.

Le véhicule s'immobilise, dans un entrelacs d'effluves nauséabonds : celles des déchets de poissons qui pourrissent au soleil. Nous sommes face à la localité de Foudiougne. Pour l'atteindre, il faut faire la queue et monter dans le bac qui conduit sur l'autre rive. Cette fois, nous sommes bien dans le delta du Sine-Saloum. L'attente est interminable. Il fait une chaleur de plomb. Pas un seul coin d'ombre. Les piétons tuent le temps assis sur les murets ou de part et d'autre de la chaussée.

Lorsque soudain... Une vieille Renault sortie de nulle part s'enfonce à une vitesse folle sur la voie circulable. Tout va très vite. Le bolide cramoisi, les cris, le bruit sourd du choc, le silence abattu, l'indignation. Les badauds pestent, accusent, défient celui qui ose conduire sans frein au risque d'ôter la vie, celui qui a eu l'inconscience de poursuivre sur la route alors qu'il aurait pu faire du delta sa voie de garage, pour venir s'échouer sans heurts dans la vase du Saloum. Un peu plus loin, des hommes viennent au secours de celui qui a été percuté. Le pauvre bougre se tient difficilement debout, blessé au bras et à la jambe. Mais vivant. En état de choc. Plus tard, nous retrouverons le véhicule sur la grève, immobilisé par un tas de gravier. Son conducteur, en plein palabres avec les autorités, devra s'expliquer. Nous n'aurons pas la suite. Après trois heures d'attente, nous montons enfin dans le bac.


Parce que le trajet est un voyage en soi... Au terme de 11h00 de route, nous avons épuisé 6 moyens de locomotion différents : taxi, "Sept-Places", bac, moto, pirogue et enfin charette à âne. Nous posons nos sacs sur l'aire marine protégée du Bamboung. Nous sommes très loin du tumulte de Dakar...

[Chapitre 10] Ça va? Ça va bien? Oui ça va bien!

Et voilà que commence le cirque des salamalèques. Il serait de mauvais ton de refuser de se soustraire au rituel des salutations.
"Bonjour! Ça va?"
" Oui, ça va bien. Ça va vous? Le voyage? Pas trop long?"
" Et vous, la Tabaski,  bien passée? Le mouton?"
" Ça va oui, le mouton. La Tabaski s'est bien passée"
" Et vous, la Sénégal? Pas trop chaud?"
Parce que les salutations font partie intégrante de la Teranga sénégalaise. Ne parle-t-on pas du pays de la Teranga? Dans la langue Wolof, il s'agit de l'hospitalité.

Quiconque passe le pas de la porte est un ami, un hôte qui vient de loin et qui doit être accueilli comme un parent.
L'hospitalité, c'est aussi la solidarité et l'entraide. Elle se manifeste au sein de la famille, proche ou agrandie. Les événements de famille, fêtes religieuses... Sont autant de moments partagés et d'occasions de se retrouver. L'hospitalité est spontanée, naturelle. Elle ne laisse pas de faux semblants, même si la pression sociale vient alourdir le poids des intentions.
À la maison, la femme cuisine toujours une part de plus, pour un invité inattendu ou pour un nécessiteux... On se serre, on se rapproche. On s'intéresse à l'autre. Dans la rue, la loi du talion fait foi.  Quiconque importune, malmène ou vole est puni par le groupe, qui le rendra "en l'État" aux autorités.  Dans les familles, l'entraide intergénérationnelle est la norme. Spontanéité ou poids culturel, la frontière est parfois mince à déceler.


Chrétiens et musulmans vivent en harmonie. Ils sont tous cousins, parents lointains. Des lors, que pourrait justifier de combattre un frère? Lorsqu'on évoque les conflits par-delà les frontières, ils sont tous unanimes : ça ne peut pas arriver ici. Les sénégalais aiment trop la vie, la fête et l'amour pour donner leur vie par pure folie. Daesh ne pourra jamais, selon eux, passer les frontières du pays de la Teranga. Croisons les doigts pour qu'il en soit ainsi.

[Chapitre 9] L’autre visage de Dakar

Dakar, la poussiéreuse. Les rares tronçons goudronnés sont bien vite recouverts de sable rouge. Les rues sont un entrelas de pistes chaotiques, de nids de poules tellement profonds que les voilà emplis d'eau de pluie.

J'ai déménagé au bord de l'océan, en face d'une longue bande de sable fin. L'odeur des embruns est masquée par le parfum âcre des ordures en décomposition. Des montagnes d'immondices s'accumulent sans qu'elles ne semblent déranger les passants ou les habitants du quartier. Les gosses jouent pieds nus, traversent ces décharges à ciel ouvert pour rejoindre ma plage. Plus loin, les chèvres trouvent leur bonheur dans ce capharnaüm de victuailles putréfiées.
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Les quartiers à demi construits côtoient ceux à moitié achevés. L'industrie du parpaing est reine, il lui manque le prince  "crépis". Malgré une impression de zone abandonnée, les quartiers sont pleins de vie. Ici une épicerie, là un tailleur. Plus loin une boucherie, une pharmacie et un ébéniste. La construction urbaine prend un sens vraiment loin de celui qui m'est familier. Tout semble anarchie. Je suis partagée entre le dégoût de tant de paupérisation et la curiosité de comprendre comment ces habitats sont structurés...
Et puis j'ai découvert "l'autre Dakar". Celui structuré et organisé, bitumé et propret. Le centre-ville ressemble à toute mégalopole : de larges artères surpeuplées aux heures de pointes, des buildings accueillant les sièges ultramodernes de grands groupes internationaux, des centres commerciaux, des hôpitaux de pointe...

Nous faisons la connaissance de Mariama, une ancienne du Turkménistan, rentrée travailler dans son pays d'origine. Nous nous sommes loupées à quelques jours près dans la lointaine Ashgabat, mais j'ai beaucoup entendu parler d'elle. Elle vient nous chercher, Aurélie et moi, au pied de notre hôtel. Avec son mari, elle va nous faire découvrir un autre visage de Dakar. Dans leur voiture climatisée, nous traversons la ville jusqu'à la Corniche, surplombant l'océan. Nous discutons longuement du Turkménistan et de cette effarante vie d'avant, mais aussi de leur vie ici, au pays.


Bientôt nous passons devant de superbes villas, flirtant sans décence avec des dizaines de millions de francs CFA. Dernier visage de Dakar, celui des propriétaires plus riches que je ne le serai jamais... Nous n'aborderons pas ici la façon dont tant de fonds ont pu être collectés. Les scandales ont suffisamment nourris les actualités...

[Chapitre 8] Contre mauvaise fortune…

Ainsi va l'Afrique...

"P*****, fais pas comme si tu découvrais que ça ne marche pas!!". Haah!! Je les maudits, ces Sénégalais qui donnent un air faussement surpris devant un dysfonctionnement qu'ils connaissaient pourtant! Ibrahima et ses essuis glace, le chauffeur de clandos et sa vitre qui ne remonte pas, et maintenant le gérant de l'hôtel qui " découvre" la fuite de ma chasse d'eau! Va-t-il y en avoir encore beaucoup d'autre comme ça?
Ce soir (*) tout m'agace, tout m'irrite.

Fin de la formation de l'association des femmes en charge du nettoiement des plages. On convient des horaires pour le lendemain. On s'accorde sur 9:00. Elles plaisantent ensemble. Je comprends, dans leur wolof, "9:00 sénégalaise". Ah oui, évidement, moi je raisonne en heure française. Après traduction ce sera 9:30... Je préfère en rire. Les précédentes formations, l'heure sénégalaise m'avait fait attendre jusqu'à 11:00... Allez, prenons ça avec le sourire!
Lorsque j'ai repris cette boutade avec les maraîchers, mon troisième groupe de stagiaires, ils m'ont rappelé la devise sur le fronton de leurs écoles : " L'heure c'est l'heure. Après l'heure, ce n'est plus l'heure. Avant l'heure, ce n'est pas encore l'heure", avant de me rappeler que l'heure est universelle. Ils conviendront tout de même qu'ils ont un problème avec la ponctualité !

J'ai pris mes quartiers à la lisière du village de petit Mbao, dans la Maison des Amis de la Nature. Ce foyer pour les visiteurs était somme toute très correct, mais située au fin fond de nulle part, avec pour seul compagnon le gardien et les moustiques. Rassure toi, lecteur : le pays présente peu de dangers, que les gens veillent les uns sur les autres et que le climat est assez quiet. Et puis j'avais amené de quoi bouquiner! Ajoutons à cela que le resto borgne à proximité ne m'inspire guère... Je compte sur la fin des formations à Keur Massar, village à proximité, pour amorcer une fuite organisée. C'est le moment opportun pour déménager dans un hôtel à Dakar même! De plus, Aurélie me rejoints mercredi soir. Double effet d'aubaine!
Mais pourquoi donc avoir trouvé un logement à Tatayou les Oies? Je commence à comprendre Ibrahima... Planète urgence vient en appui à des projets locaux, en mettant en contact des volontaires, venus avec leurs compétences, et des associations locales. Il n'y a pas de subventions, pas de subside financier, pas de don direct. C'est un échange de connaissances. Un moyen sain, selon moi, de cesser la mise sous perfusion des pays en développement, dérives de décennies d'ONG, au profit d'un partenariat de travail.
Mais le partenaire local ne voit pas tout a fait les choses sous cet angle! J'ai compris qu'il rogne sur tous les postes pour dégager un petit profit, notamment le logement! À priori, ce n'est pas pour glisser les quelques milliers de francs dans sa poche, mais plutôt pour en faire profiter l'association. Le hic, c'est que ça ne rentre pas du tout dans le partenariat avec Planet Urgence...

Et la petite Marine dans tout cela? Heureusement, Romain, le correspondant de PU n'est jamais vraiment loin. Après avoir longuement échangé ensemble, nous avons recadré quelques points. C'est la première fois qu'il travaille avec Ibrahima. J'ai comme l'impression qu'il y aura un peu de travail pour s'accorder pour la suite! Nous convenons que je termine au mieux les formations. Je mise tout sur mon esprit positif et constructif, sur ma bonne humeur et mon entrain! Quoi qu'il en soit, je sais que le renforcement des capacités pour lequel j'ai œuvré sur ces 10 jours ne sera pas vain. Je vois dans le regard de ces femmes des idées qui s'éclairent, des solutions qui s'animent. C'est une ouverture possible vers un avenir meilleur, vers des perspectives différentes. Peut-être pourront-elles dégager une petite activité génératrice de revenu et améliorer le quotidien.
Cette jeune fille, étudiante en gestion, met du sens sur ses courts parfois abstraits. Sur un exercice un peu compliqué, la voilà qui aide les femmes moins érudites qu'elles. Il y a cette femme, qui projette d'acheter des chaussures fabriquées artisanalement dans un village du pays pour les revendre à la paire ici. Elle adapte immédiatement mes exemples sur son cas concret, m'interroge sur tous les coûts à prendre en compte et sur le bénéfice qu'elle pourra dégager. Son projet tient ma route. C'est le début d'une nouvelle voie... Le Sénégal se construit ainsi. Mais la route est encore longue.

Une goutte d'eau dans l'océan... Pourtant le pays ne manque pas de ressources! Les bonnes volontés sont légion, les formations sont de qualité. Au fil des jours j'apprends à connaître ce pays. Petit à petit, je comprends quelques ficelles. Si peu... Une goutte d'eau dans l'océan...


(*) mardi 29 septembre

[Chapitre 7] Keur Massar

Les formations se poursuivent, toujours aussi peu organisées.

Je rencontre les femmes de Keur Massar, grosse bourgade à 45km de Dakar. Comme beaucoup, elles se sont liées en GIE (Groupements d'Intérêt Économique). Cette structure regroupe des femmes qui en plus de leurs activités quotidiennes (gestion de la maison essentiellement, et parfois une activité professionnelle comme le ménage ou le secrétariat, s'associent dans le cadre d'activités génératrices de revenus. L'organisation est très structurée. On y trouve une présidente, Madame Sarr, ainsi qu'une commissaire aux comptes, plus couramment appelée trésorière dans nos contrées, Aïssatou. Elles sont environ 33 partenaires.
Chaque semaine, chacune d’entre elle verse une cotisation de 1000 frs, à laquelle s'ajoutent 100frs de frais de fonctionnement. Le pot commun, ainsi collecté, sert à financer les projets du GIE, ainsi qu’un « panier » composé de biens pour le foyer (savon, chocolat, huile…). La donation se fait par tirage au sort parmi les membres du GIE. A la fin de chaque période, elles versent à nouveau 1000 frs + 100frs. Si l’une d’entre elle a un projet, ou un coup dur, elle peut faire appel aux fonds du GIE. Chacune cotisera pour celle qui en fait la demande. Cette dernière devra ensuite rembourser les fonds au groupement.
Le système de GIE est institutionnalisé et légalisé au travers d’un règlement intérieur, signé par chaque membre et déposé devant les autorités. En effet, les fonds ainsi brassés peuvent être très élevés et pourraient aisément attirer la convoitise des moins honnêtes... Le ton est formel : si quelqu'un cherche à resquiller, les autorités ne tarderont pas à lui mettre la main dessus! On ne badine pas avec la confiance collective.

Malheureusement, le GIE des femmes de Keur Massar à développé des micro activités permettant seulement de vivoter. Le micro-jardinage se résume à des semis de graines dans un bac en plastique. Il y a bien eu la fabrication d'eau de javel et celle de savons. Mais elles ont cessé, faute de moyens... Nous avons profité d'une séance de travail sur les coûts de revient pour identifier le bénéfice unitaire issu de la production d'eau de javel : près de 28% de marge! Reste que tout est question de volume, car 28% de pas grand-chose, ça reste très peu...
Aujourd'hui, les femmes veulent se lancer dans la pâtisserie.
La formation du jour concerne le lancement de nouvelles activités. Autrement dit, comment transformer une idée en entreprise. Ce qu'on appelle business plan dans nos écoles de commerce prend un sens concret, et simplifié, dans la salle de réunion non ventilée qui nous est attribuée. Nous discutons ensemble des étapes à respecter. Comment savoir qu'une idée est une bonne idée? Et comment réagir si ce n'est pas le cas? D'un exemple à l'autre, la formation prend du sens.

Je m'inquiétais avant de partir sur ma capacité à parler simplement de choses simples, de la difficulté à maintenir l'attention de population ayant depuis longtemps quitté les bancs de l'école, certains même n'y étant pas allés. Les sourires et le dynamisme qui me sont renvoyés par les femmes de Keur Massar, puis par tous les autres stagiaires, éteignent mes derniers doutes.

Malheureusement, les activités génératrices de revenus sont souvent extrêmement rudimentaires. Les moyens manquent. Les femmes projettent de professionnaliser leurs activités grâce à la pâtisserie. Il leur reste à franchir l'étape de l'investissement pour acquérir la batteuse. Souhaitons qu'elles puissent venir à bout de leur projet.

[Chapitre 6] L’heure du bilan ?

Certains comptent... Je m'étais promis de ne pas tomber dans ce cercle d'illusionnistes, de calculateurs... Et puis j'ai glissé, sans même m'efforcer de résister. J'ai succombé à la curiosité de placer, sur une feuille, la liste des pays visités. J'ai même fixé un objectif, avant mes trente ans... À quoi bon? Autosatisfaction? Orgueil? Curiosité? J'ose espérer ne pas tomber dans ces travers. Pour les raisons contraires, j'en tairai la valeur. Et puis qu'elle signification pourrait on seulement en donner?
À la question "Tu as fait l'Afrique ?", je bouillonne.
" Faire" un pays, est-ce seulement possible? On ne "fait" pas un pays, au moins peut-on le pénétrer, au plus peut-on le vivre, le sentir vibrer en soi. En général on se contente de le visiter, ce qui n'est pas une mince affaire. Reste le rythme qu'on souhaite lui donner : à la japonaise, pour parcourir en 6 jours les merveilles de l'Europe? Ou au rythme lent de celui qui découvre? J'espère, un jour, pouvoir sillonner, sans contrainte de temps, une région, un pays, un continent, et enfin sentir l'âme de celui qui voyage.

En cette soirée de digestion, après l'orgie de moutons de la Tabaski, j'ai l'âme vagabonde et le coeur à la plume. Je retrospecte, je rétropédale, je jette un oeil par le rétroviseur des escapades passées...

Mon plus beau coucher de soleil? C'était sûrement en Bretagne, là où enfants, nous passions les vacances en famille. Ces crépuscules où nous courrions après le soleil, emmitouflés dans un pull-over pour résister aux embruns. C'était en famille, à respirer l'air iodé.

Le morceau de musique qui raisonne encore en moi? "Californication" des Red Hot Chilly Pepers. À chaque passage, je revois le désert du Karakoum se dessiner sous mes yeux. La liberté de circuler dans l'immensité du désert turkmène. Chassés, les souvenirs ternes. Cette musique me ramène les plus vivaces.

Le paysage le plus fantasmagorique ? L'arrivée sur les Cameron Islands, en Malaisie, à l'heure où le jour n'a pas encore chassé la nuit. Lorsque les figures sombres des montagnes commencent à se dessiner dans la nuit qui s'estompe.

Le plus beau trajet en train? Entre Sofia et Bucarest, dans un vieux wagon sovieto-chic. Le samovar brûlant siffle encore dans mes songes.

L'épisode le plus périlleux? Le trajet en bateau pour rejoindre le parc National de Tayrona, en Colombie, dans une mer  déchaînée. La hauteur des vagues, le claquement de la coque venant s'écraser lourdement sur les vagues, la brûlure sur ma main qui se retient coûte que coûte à un malheureux morceau de corde. Dans la brume de mes cauchemars, je distingue l'image de nos corps retrouvés, quelques jours plus tard, échoués sur la côté....

Les couleurs les plus vives? Le défilé des saris flamboyants au lève du soleil, sur le marbre blanc du Taj Mahal.

Le meilleur souvenir culinaire? Les momos tibétains, dans un village de réfugiés, quelque part aux confins de l'Himalaya. Je pense aussi aux reines-claudes, chauffées par un bel après-midi d'été. C'était au fond du jardin de mes grands-parents, derrière un tas de pierres.

Le monument qui m'a le plus marqué? La cité de Boukhara, en Ouzbékistan, à l'heure où les rayons du soleil viennent caresser les murs jaunes et les céramiques turquoises, quand les coupoles rappellent la grandeur du passé. Retour éphémère sur les Routes de la Soie.

La plus belle rencontre? Monsieur Izadi, un soir dans le désert de Maroumba (Iran), héros de la Guerre Iran Irak et fervent opposant au régime. Nous y avons vécu une des nuits les plus marquantes qui nous soit donnée de vivre.

Ma pire nuit? Celle où j'ai cru attraper le Choléra, du côté de Jodhpur, en Inde. Lorsque les films historiques et les récits d'un autre temps laissaient imaginer une issue fatale... J'en connais une qui sourira en lisant ces lignes (pour ma comparse de voyage)

Le moment de perdition que je préfère? Errer sans but dans les ruelles des bazars d'Istanbul, pour finir immanquablement par un bol de soupe aux lentilles.

Le fleuve qui m'anime aujourd'hui encore? L'Amou Daria, frontière de l'ancien Turkestan Oriental. Traversé par Alexandre le Grand en des temps depuis longtemps révolus, je me revois dans un taxi soviétique traverser un pont fait de flotteurs liés les uns aux autres.

Les villes qui raisonnent dans ma tête : Tombouctou, Oulan Bator, Chandernagor, Nazca, ...


Parce que le monde sera toujours trop vaste et le temps trop court...

[Chapitre 5] Si les murs pouvaient parler, ils crieraient leur douleur

Ils sont peut-être 200, à attendre le prochain voilier en provenance de France. Ils ont perdu tout ce qui donne condition humaine : marqués au fer rouge, renommés, catégorisés. "Celui-là, que tu vois là-bas, il fait moins de 60kg. Il a rejoint la cellule des inaptes.
Elle, ici? Tu sens la fermeté de ses seins? C'est comme cela qu'on reconnait une vierge, elle représente une grande valeur". Il y a aussi une cellule pour les non-vierges, pour les enfants ou encore pour les indisciplinés. Ils s'entassent à 15 ou 20 dans une cellule de 2,6×2,6 mètres carrés.
"La semaine passée, trois d'entre eux ont été malades. On ne peut pas risquer une épidémie. Nous les avons lestés et jeté par la grève". Dehors, les requins se sont disputés leurs chaires.

Les esclaves convergent de toute l'Afrique de l'ouest vers les comptoirs commerciaux. C'est l'heure de gloire des cités telles que Gorée, Saint Louis au Sénégal, d'autres au Dahomey (actuel Bénin) et tout au long de la côté atlantique. Ils ont été cueillis, ou plutôt arrachés jusque loin dans les régions, souvent le long des fleuves, qui constituent les principaux axes de communication.
Nous sommes peut-être en 1615, peu ou prou. Le voilier qui s'avance portera la marchandise jusqu'à la Nouvelle Orléans, en Guadeloupe ou en Haïti. Par la porte du voyage sans retour, ils quitteront l'Afrique, pour un avenir qu'ils ne soupçonnent pas.
Le commerce triangulaire bat son plein. Par le miroir d'une autre époque, on y verrait que les horreurs succèdent aux humiliations, que les puissants renforcent leur pouvoir par l'exploitation des plus faibles...




Il faudra plus de deux cent ans pour que le monde réalise enfin l'horreur de la traite négrière. En 1848, l'esclavage est aboli. D'après les historiens, il y aurait eu entre 12 millions de déportés à travers le monde, et plus de 100 millions de morts car seuls les esclaves plus vaillants furent sélectionnés pour prendre la mer. Gorée, dernière étape avant le large.
En se promenant dans les rues de la cité insulaire, les traces du passés semblent à peine estompées. Si les murs pouvaient parler, ils crieraient leur douleur. Ils exprimeraient combien l'homme peut être cruel. Mais ils souffleraient aussi un vent d'espoir et de solidarité, pour que tous apprenions de nos erreurs passées.

L'île de Gorée à été classée au Patrimoine Mondiale de l'UNESCO en 1978. Les historiens s'accordent à dire que cette cité n'a pas été la plus active dans le triste épisode de la traite négrière. Néanmoins, les riches vestiges architecturaux hérités du passé colonial offre une vitrine intéressante de l'époque. Elle incarne, par les trésors historiques qu'elle retient, le visage de la traite négrière.




Pour la visiteuse que j'incarne, en ce samedi de septembre, Gorée représente une escale paisible et charmante, loin du tumulte de la vie Dakaroise. Les heurs murs offrent un coin d'ombre agréable, combiné à l'air marin qui rend l'atmosphère plus respirable. Ma découverte du pays commence à peine. Mercredi soir, Aurélie me rejoindre pour poursuivre un petit bout d'escapade à travers le pays...

[Chapitre 4] Fête de la Tabaski

Les vendeurs de montons sont arrivés de loin pour l'occasion, souvent du Mali et de Mauritanie. Depuis plusieurs jours, ils exposent leur marchandise en bord de route, aux carrefours, sous les ponts ou encore sur les marchés. Pour la fête de la Tabaski, chaque famille doit égorger au moins un mouton, en souvenir du sacrifice d'Abraham.

La préparation de la fête prend une grande importance. C'est avant tout un moment de partage et de joie. Elle permet de réunir la famille, les voisins, de partager avec les plus démunis et de demander le pardon à ceux qui auraient été offensés, même sans le vouloir. Les maisons sont ouvertes pour tous les hôtes. Les musulmans invitent leurs voisins chrétiens, qui ouvriront naturellement leurs portent en retour à Pâques, pour Noël et pour tous les événements d'importance. Parce qu'aux Sénégal, au-delà des religions, c'est la fraternité qui fait foi. Dans les grandes familles, il peut y avoir 6 ou 7 moutons à égorger, autant de travail pour les découper et les préparer. Dans ce cas, la fête se prolongera le lendemain. Toute la famille s'affaire pour faire de cet événement le plus festif de l'année. Je suis conviée dans la famille de Bollel. J'irai pour 13 ou 14:00, Inch Allah.

9:00, je suis réveillée depuis bien longtemps déjà. L'Imâm lance l'appel à la prière. J'entends raisonner les muezzins de tous les environs. Assise sur la terrasse de la Maison, je lis les aventures d'un voyageur, parti de Bénarès à Kyoto par voie terrestre. Je ne partage pas sa vision du monde. Je me lasse de son récit rempli de métaphores, d'appels charnels et de jugements faussement philosophiques.

10:30. Je tends l'oreille. Les moutons se sont tus.

J'enfile ma tenue de fête et prends le chemin de Keur Massar, où habitent Bollel et sa famille. J'ai passé la journée d'hier chez eux. Sa maman m'a fait cadeau d'un superbe boubou blanc à motifs oranges et turquoises. La robe me va parfaitement. Il a fallu réduire un peu sa longueur. Je me bats avec le pagne, trop long lui aussi. Par chance, j'ai une aiguille et du fil blanc, ce qui me permets de l'ajuster. Je m'en passerai bien, mais ma robe est transparente...
Je marche jusqu'au carrefour où attendent habituellement les clandos, ces taxis clandestins complètement dézinguées. Point de clando en ce jour de fête. J'appelle Bollel qui me dit de "solliciter un taxi" et de lui passer le chauffeur par téléphone. Ils discutent, longuement, du prix et de la destination. À côté de moi, une petite fille de peut-être 10 ou 12 ans, cherche également un taxi pour parcourir les 500m qui la séparent de la maison de ses grands-parents. Elle me demande si elle peut se joindre à moi, car c'est la même route. À l'annonce du prix, 5000fr, elle me dit "il va te faire très cher!". Fin de la conversation, fin des négociations. Ce sera 3000frs. En route.



Avant d'entrer chez Bollel et sa famille, je passe à la supérette acheter quelques bouteilles de jus. La veille, je m'étais entretenue avec Nafi, sa sœur, pour savoir ce qu'il faut apporter pour le foyer en pareilles circonstances. J'arrive quiète puisque mes présents sont de circonstance.
Dans la pièce principale, sorte de corridor central, la maman tri les morceaux de mouton dans deux bassines, assise à même le sol. Les mouchent virevoltent et se régalent de tant de chaire à l'air libre. Une des sœurs se tient près d'un réchaud à charbon, posé sur le carrelage, dans lequel bout de l'huile pour les frites. Une autre coupe les oignons, assise par terre également. Elles évoluent nus pieds ou en tongues, circulent à quatre-pattes. À coup de balais, elles chassent les épluchures un peu plus loin.
Dans un coin de la pièce gisent les membres du défunt animal, désolidarisés. La coiffe et les cornes sont abandonnées à proximité. La panse trempe dans un sceau eau. L'odeur, et la vue de la barbaque, me soulèvent le cœur. Je me place stratégiquement à l'abri du lieu du carnage.
C'est le défilé des voisins, venus présenter le pardon et partager un peu de viande. Il est 14:00, le déjeuner devrait arriver plus tard, vers 17:00 peut être, Inch Allah. D'ici là, on fait rougir un peu de charbon pour faire griller des côtelettes. C'est le premier round. Premiers morceaux de mouton. Je ne sais pas encore que c'est loin d'être le dernier...
Nafi ouvre une bouteille de jus et apporte des verres de l'extérieur. Elle les distribue. Je suis attentivement le va et vient des gobelets afin de m'assurer que je suis la seule à boire dans celui qui me sera tendu. De vieux réflexes hygiénistes me reviennent. J'essaie de chasser ces pensées, au risque de ne rien manger ni boire...


C'est l'heure d'aller manger chez les voisins. Eux aussi ont tué le mouton ce matin. Il est cuisiné en ragoût, avec des olives. Le plat est présenté dans une unique et gigantesque coupelle en étain rond. Les frites ramollies baignent dans la sauce. "Tu sais manger avec mes mains?" me demande l'un d'entre eux.
"Tu vas m'apprendre!". Me voilà armée d'un seul bout de pain comme ustensile. Une chose me manque : où se laver les mains? Le grand frère m'apporte une bassine d'eau claire. Je suis la première à y tremper les mains. Allez, ça va bien... Mieux vaut cela que rien du tout...
Voilà 7 ou 8 mains gauches plongées dans la sauce, à décortiquer les morceaux de bidoche. Les doigts aguerris à l'exercice séparent efficacement la chaire et m'en portent devant moi. Je mange en essayant de ne pas réfléchir à la scène, à ces membres plus ou moins propres qui malaxent cette pitance, pourtant fort bonne, aux microbes qui circulent, sans nuls doute, d'une main à une bouche, puis à une autre... Je suis consciente du caractère inédit de la scène. Je me sens parachutée loin, très loin de mon environnement.
"Il faut manger hein! Encore"... Je ne sais comment refuser. J'en suis à mon second plat de mouton de la journée, et il en reste au moins un autre, celui de la famille de Bollel.
Pour finir, un garçon apporte une nouvelle bassine avec du détergent pour se débarrasser de la graisse du mouton. Comment leur dire qu'il aurait fallu commencer par là? Commencer par désinfecter les membres avec lesquels manger?  La route est encore longue...
Après quelques félicitations à la cuisinière, nous traversons la rue en terre battue pour rentrer dans l'habitation familiale. Le thé chauffe. Il aide, parait-il, à la digestion. Je vais en avoir besoin! Mon estomac commence à me dire qu'il a ingurgité trop de gras pour aujourd'hui.
Le voisin, un grand gaillard braqué nous rejoint. Je prends mon premier cours de wolof, la langue nationale (le français étant la langue administrative). Je suis une piètre élève. Mais je note! Il m'a donné un nom sénégalais, proche de Marine. On rit beaucoup.
Celui qu'on surnomme " l'homme aux 12 métiers" s'absente et revient avec un tube de glue. Il a vu que ma sandale se décolle et y remédie dans la seconde. Pour le remercie, nous prendrons des photos en tenue traditionnelle. Inch Allah!

Nouveau tour de thé. Le rituel est invariant. Celui qui le prépare fait longuement bouillir l'eau sur un petit réchaud à charbon de bois. Il faut ensuite y ajouter le thé, parfois de la menthe ou du basilic. Ensuite commence la valse des verres. De l'un à l'autre, le thé s'élance de près de 40cm de hauteur, autant de fois que nécessaire pour faire monter la mousse à la moitié du verre. Ceci ne sert à rien d'autre qu'à décorer les verres. Le liquide brûlant est offert aux hôtes par ordre d'importance. Le nombre de verres est porté à 3. Sont servis, dans cet ordre, le chef de familles, l'invité de marque et la fratrie, puis le reste de la maisonnée. Une fois le verre vide, il est sommairement rincé puis rempli à nouveau pour un autre convive. Je suis contente de boire la première. Une fois encore, j'évite de penser au cycle des bactéries qui pourraient circuler...


Troisième round. J'attaque mon troisième plat de ragoût de l'après-midi. Il est 17:00. Je prends place dans une pièce au calme avec les sœurs et la voisine chrétienne. Le grand plat rond est plein de gros morceaux de viande, je pense que ce sont les plus beaux. Je n'en peux plus... C'est un supplice! Le spectacle des mains pataugeant dans la sauce m'écœure. Malgré cela, j'apprécie ce moment loin du temps et de l'espace.

[Chapitre 3] Va-t-on y arriver ?

Mardi 22 septembre, bureau d'Ibrahima.

Il part chercher les clefs de la salle de conférence dans laquelle je dois dispenser ma première formation sur le thème "je lance mon activité". Avec ses 6 ou 7 collègues, nous attendons son retour dans son bureau. Par chance, il est climatisé.
Je profite d'une accalmie pour appeler Romain, de Planète Urgence, afin de lui faire part des nombreux aléas organisationnels.
Enfin Ibrahima ressurgit. Alors que je me prépare à migrer vers la salle,il m'annonce que celle-ci est occupée jusqu'à midi. Je brouillonne : est-ce qu'on n'aurait pas pu anticiper cela?? Bien sûr, c'était écrit sur le registre qu'on aurait pu consulter, ou encore appeler le bougre qui gère les services généraux. Mais non. Il est 10:45, nous devons trouver un plan B pour la formation de ... 11:00... Calme...Je respire un grand coup... Pas de problème, nous allons nous serrer dans le bureau climatisé.
J'attaque le module sur le lancement d'une activité, ou comment transformer une idée en entreprise. Le groupe est dynamique, l'échange se fait bien. Voici la pose inévitable : le thé! Il est presque midi trente. Ici les repas se font tard, rarement avant 14:00. J'ai prévu le coup grâce à un copieux petit déjeuner.

Nouveau rebondissement... Le chef d'Ibrahima n'a pas été prévenu de la formation, qui plus est dans ses locaux. Guerre d'égos, lutte de pouvoir... Le tableau nous est repris. Quelques minutes plus tard, j'apprends que la formation devra s'arrêter à 13:30. Deux petites heures de formation contre les 7 initialement prévues... Le rythme est donné... Je suis dépitée et agacée par ce manque de sérieux. Ce n'est pourtant pas si compliqué de prendre ses dispositions et de sécuriser un événement aussi important que deux semaines de formation. Je fais part de mon mécontentement à Ibrahima en allant déjeuner. Il a l'air abattu. Je m'en veux un peu, puis, non... Il a la chance de pouvoir bénéficier de ces formations, il faut faire le nécessaire pour qu'elles puissent de dérouler au mieux.

Je retrouve mes stagiaires après déjeuner, un peu contrits eux aussi de ce changement de plan. Ils s'accordent pour travailler à la maison les exercices que nous avions prévus ensemble l'après-midi. Partons là-dessus alors...

[Chapitre 2] Flexibilité

Lundi 21 septembre, 11:00. Aéroport Léopold Sedar Senghor, service généraux.

Ibrahima, correspondant local de Planet Urgence, règle quelques affaires professionnelles. Nous en profitons pour échanger sur les besoins.
Les termes de la mission avec Planète Urgence sont explicites : un volontaire vient en renfort sur un projet local, à la demande d'un correspondant dans le pays. La mission doit s'inscrire dans le renforcement des compétences pour adultes, l'appui éducatif auprès des enfants ou encore la protection de la faune et de la flore. Les volontaires, financés par leur entreprise ou sur leurs fonds propres, interviennent sur une période de 2 semaines. C'est à la fois court et extrêmement long... Avec l'enveloppe qui lui est attribuée, le partenaire prend en charge le logement, la nourriture et les frais de déplacement du volontaire. Il rend compte à Planète urgence des dépenses, et doit coordonner les événements sur place pour que la mission se passe dans les meilleures conditions. Je vais vite comprendre le fossé que peur prendre le terme "organisation" à quelques milliers de kilomètres d'intervalle.

Un peu plus tôt dans la journée. Il est 9:00, Ibrahima vient me chercher à la Maison des Amis de la Nature, a l'embranchement de la route de Keur Massar et du village du petit Mbao.
J'affronte pour la première fois la tentaculaire cité dakaroise. Les bouchons succèdent aux bouchons. Les camions pétaradent d'une fumée bleue, les camionnettes chargées plus que de raisons touchent presque le sol, des bus surpeuplés transportent des voyageurs amassés comme dans une bétaillère. Il y a aussi les moutons, placés sur le toit des bus. Je revois un homme hisser l'animal, à bout de bras, au sommet du bus. Savez-vous seulement si les moutons ont le vertige?
Tout au long de la route, les vendeurs de bestiaux présentent leurs montons aux acheteurs potentiels. La "deux fois-deux voies" est saturées. L'atmosphère est irrespirable. Sur le bas coté, des vendeurs ambulants viennent proposer cartes téléphoniques, couteaux ou t-shirts. Nous nous embranchons sur l'autoroute payante et hors de prix. 1000francs (soit 1,50€) pour dix malheureuses minutes. Eiffage doit se frotter les mains... Il nous faudra presque 2 heures, en ce lundi matin, pour arriver à l'aéroport.
Ibrahima règle quelques affaires professionnelles, pendant que je discute avec ses collègues. À son retour, nous étudions les différentes options de travail. Il y a bien trop de stagiaires potentiels, géographiquement trop éloignés. Ils ne pourront pas faire le déplacement jusqu'au centre de formation, c'est certain. Je propose de diviser l'effectif en trois groupes. Nous convenons également qu'il serait plus simple de conduire les formations au plus près des stagiaires.
    - Groupe 1: le GIE des femmes, à Leur Massar (environ 40km au nord est de Dakar)
    - Groupe 2 : les maraîchers, situés dans les faubourgs de Dakar, près du Golf inondé
    - Groupe 3: les futurs entrepreneurs. Ce sont les amis et collegues d'Ibrahima. Je soupçonne un peu de copinage et d'opportunisme là-dessous... Peut être un moyen pour Ibrahima de se valoriser aux yeux de ses collègues et pour ceux-ci d'ajouter une corde à leur arc pour le jour où, Inch Allah, ils créeront leur entreprise... Qu'importe, je ne suis pas là pour juger.
J'apprends que la fête de la Tabaski (plus connue chez nom sous le nom d'Aïd) va contraindre les formations. De jeudi à samedi inclus, Dakar tourne au ralenti. Nous ne pourrons pas travailler. De plus, Ibrahima n'a pas planifié les séances par anticipation, les stagiaires ne sont pas prévenus, la liste n'est pas arrêtée. Quant aux créneaux convenus de formation, de 9:00 à 17:00, les voilà balayés d'un revers de main... Début à 11:00 au plus tôt, fin vers 16:00. Avec cela, on ne va pas aller très loin dans le programme... Heureusement que, prise par le temps, je n'ai pas préparé trop de cours, j'aviserai au fur et à mesure...

Je profite du temps mort de la matinée pour ajuster mon support pour la première formation qui se tiendra le lendemain, pour les futurs entrepreneurs. Grâce à la connexion internet, j'informe Romain, mon correspondant pays pour Planet Urgence, de l'organisation très approximative de la mission sur place et des changements intervenus. Il s'en désolé, mais que faire d'autre? J'ai la situation en main, jusqu'ici tout va bien. Je sens quand même que mes nerfs vont être mis à rude épreuve !
J'insiste lourdement auprès d'Ibrahima sur la courtesse des délais, ainsi que les engagements contractuels avec Planète Urgence. "Pas de problème, on va faire au mieux...". Moui...

14:00, on part déjeuner. Nous prenons rendez-vous avec Madame Sarr, présidente du GIE pour le soir même.
15:00, il pleut des trombes. Alors que nous voulons reprendre la route pour l'aéroport, la pluie redouble d'intensité. Les essuis glace de la vieille guimbarde sont en panne. Impossible de repartir. Nous patientons. Il pleut presque autant dedans que dehors. Enfin les gouttes se dissipent. Cependant, les eaux ont envahi les rues. Les égouts vomissent des litres et des litres d'un liquide marron, boueux.
Nous sommes bloqués. Le niveau des eaux est tel que les voitures sont arrêtées. Seuls les cross-over, ou les plus hardis, osent s'aventurer dans ce fleuve urbain. Les minutes s'égrainent. Il est presque 16:00, ma journée n'a pas encore commencée. Nous devons retourner à l'aéroport pour les dispositions logistique, puis rencontrer les maraîchers et enfin aller jusqu'à Keur Massar pour rencontrer Madame Sarr.
Je bouillonne... Je sens que, vraiment, ça va être compliqué. Je désespère de ne pouvoir tenir le programme que je me suis tacitement rédigé. Je grogne à l'idée de ne pas pouvoir partager tout ce qui est nécessaire pour de simples questions d'organisation. Je veux bien céder face aux impondérables, mais buttée par désorganisation m'excède. Pourquoi ne pas simplement téléphoner pour réserver la salle? Contacter chaque stagiaire pour fixer la date et définir des maintenant le calendrier ? Il est 16:30, nous avançons enfin. Je n'ai aucune idée du planning des jours à venir...

À l'aéroport, nous faisons choux blanc. Le niveau des eaux nous pousse à faire demi-tour. Mes ballerines en daim beige maudissent l'hivernage. Sans leur dire, je soupçonne que ce voyage soit le dernier. Il faut affronter à nouveau la cohue, le tohu-bohu des véhicules, les entrailles du Dakar pollué, l'inextricable enchevêtrement des carcasses dézinguées. Le tout baignant dans une bouillasse marron, faite de boue et de déchets divers.

[Chapitre 1] Fin de l’hivernage

Un nuage noir se profile à l'horizon. Il se rapproche à vive allure, présage sans sommation d'un orage virulent. Les premières gouttes viennent caresser les vitres du bus bondé dans lequel j'ai pris place. Ce n'est que le début. Elles arrivent, telles une cavalcade. Plus nombreuses, plus denses, plus rapides. Nous descendons à l'embranchement. 

Il ne reste que 200 mètres avant d'arriver à la Maison des Amis de la Nature. Bollel me colle dans un taxi. Je rouspète : "pour 200 mètres, je peux marcher!" "Mais il pleut!" me rétorque-t-il. Évidence...
Le vieux tacot ne démarre pas : impossible de remonter la vitre du conducteur. Vaines tentatives. Il pleut dans l'habitacle, par la fenêtre et par le toit. La vieille carcasse est trouée de rouille. Mais elle roule. Dois-je considérer que c'est un miracle ou simplement le Sénégal? Qui sait...
Enfin nous démarrons. À quelques encablures, je me manifeste. Je descends du véhicule, traverse la route sous une pluie battante. Je tente de maintenir au sec les fournitures que je transporte : rouleau de papier et ordinateur en priorité.
Dehors, le ciel craque, l'orage gronde. La maison s'emplit peu à peu d'eau, par tous les interstices. Il est 18:00, je prends la plume pour la première fois, à l'abri. Le toit de la tonnelle me protége la tête. Mes jambes reçoivent la fraîcheur des gouttes, mes pieds nus pataugent dans les flaques qui s'emplissent. Tonnerre violent. Je sursaute. Encore. Je tressaille. Les éclairs sont immédiatement accompagnés du son colérique de Zeus. La foudre tombe sous les yeux. Je rentre me mettre à l'abri. C'est la fin de l'hivernage. Bientôt  s'écouleront les dernières gouttes de pluie. La saison sèche prendra place. D'ici là il faudra panser les dégâts faits par les intempéries. Les routes sont défoncées, les égouts saturés, les écoulements bouchés. Le trafic se paralyse. Les activités économiques tournent au ralenti.


L'orage a cessé. Je profite maintenant de la fraîcheur. L'horizon se dégage.

[Chapitre 0] Au pays de la Teranga, des baobabs et du Tienboudienne

En route pour de nouvelles aventures..
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Je m'envole pour 2 semaines de volontariat au Sénégal. Je pars en mission pour une ONG du nom de Planet Urgence, dont Sopra (mon employeur) est partenaire. Je prends la direction de Dakar où je vais intervenir en renfort à la gestion de projet et l'entrepreneuriat pour une association locale.
Il semblerait également que je me lance, une nouvelle fois, dans la rédaction d'un carnet de route. Je ne peux pas vous promettre de longs récits, ni même une fréquence régulière. Inch Allah, comme on dit par ici!


Je ne sais si le chemin sera bitumé ou s'il sera fait de pistes. Je n'ai pas d'idée sur ce qui va m'arriver sur place, ni même si l'inspiration me viendra pour ce nouveau carnet de voyage. Je ne sais pas non plus à quelle fréquence je pourrais accéder à internet pour vous transmettre les chapitres de cette aventure inédite.