samedi 2 janvier 2016

[Chapitre 2] Flexibilité

Lundi 21 septembre, 11:00. Aéroport Léopold Sedar Senghor, service généraux.

Ibrahima, correspondant local de Planet Urgence, règle quelques affaires professionnelles. Nous en profitons pour échanger sur les besoins.
Les termes de la mission avec Planète Urgence sont explicites : un volontaire vient en renfort sur un projet local, à la demande d'un correspondant dans le pays. La mission doit s'inscrire dans le renforcement des compétences pour adultes, l'appui éducatif auprès des enfants ou encore la protection de la faune et de la flore. Les volontaires, financés par leur entreprise ou sur leurs fonds propres, interviennent sur une période de 2 semaines. C'est à la fois court et extrêmement long... Avec l'enveloppe qui lui est attribuée, le partenaire prend en charge le logement, la nourriture et les frais de déplacement du volontaire. Il rend compte à Planète urgence des dépenses, et doit coordonner les événements sur place pour que la mission se passe dans les meilleures conditions. Je vais vite comprendre le fossé que peur prendre le terme "organisation" à quelques milliers de kilomètres d'intervalle.

Un peu plus tôt dans la journée. Il est 9:00, Ibrahima vient me chercher à la Maison des Amis de la Nature, a l'embranchement de la route de Keur Massar et du village du petit Mbao.
J'affronte pour la première fois la tentaculaire cité dakaroise. Les bouchons succèdent aux bouchons. Les camions pétaradent d'une fumée bleue, les camionnettes chargées plus que de raisons touchent presque le sol, des bus surpeuplés transportent des voyageurs amassés comme dans une bétaillère. Il y a aussi les moutons, placés sur le toit des bus. Je revois un homme hisser l'animal, à bout de bras, au sommet du bus. Savez-vous seulement si les moutons ont le vertige?
Tout au long de la route, les vendeurs de bestiaux présentent leurs montons aux acheteurs potentiels. La "deux fois-deux voies" est saturées. L'atmosphère est irrespirable. Sur le bas coté, des vendeurs ambulants viennent proposer cartes téléphoniques, couteaux ou t-shirts. Nous nous embranchons sur l'autoroute payante et hors de prix. 1000francs (soit 1,50€) pour dix malheureuses minutes. Eiffage doit se frotter les mains... Il nous faudra presque 2 heures, en ce lundi matin, pour arriver à l'aéroport.
Ibrahima règle quelques affaires professionnelles, pendant que je discute avec ses collègues. À son retour, nous étudions les différentes options de travail. Il y a bien trop de stagiaires potentiels, géographiquement trop éloignés. Ils ne pourront pas faire le déplacement jusqu'au centre de formation, c'est certain. Je propose de diviser l'effectif en trois groupes. Nous convenons également qu'il serait plus simple de conduire les formations au plus près des stagiaires.
    - Groupe 1: le GIE des femmes, à Leur Massar (environ 40km au nord est de Dakar)
    - Groupe 2 : les maraîchers, situés dans les faubourgs de Dakar, près du Golf inondé
    - Groupe 3: les futurs entrepreneurs. Ce sont les amis et collegues d'Ibrahima. Je soupçonne un peu de copinage et d'opportunisme là-dessous... Peut être un moyen pour Ibrahima de se valoriser aux yeux de ses collègues et pour ceux-ci d'ajouter une corde à leur arc pour le jour où, Inch Allah, ils créeront leur entreprise... Qu'importe, je ne suis pas là pour juger.
J'apprends que la fête de la Tabaski (plus connue chez nom sous le nom d'Aïd) va contraindre les formations. De jeudi à samedi inclus, Dakar tourne au ralenti. Nous ne pourrons pas travailler. De plus, Ibrahima n'a pas planifié les séances par anticipation, les stagiaires ne sont pas prévenus, la liste n'est pas arrêtée. Quant aux créneaux convenus de formation, de 9:00 à 17:00, les voilà balayés d'un revers de main... Début à 11:00 au plus tôt, fin vers 16:00. Avec cela, on ne va pas aller très loin dans le programme... Heureusement que, prise par le temps, je n'ai pas préparé trop de cours, j'aviserai au fur et à mesure...

Je profite du temps mort de la matinée pour ajuster mon support pour la première formation qui se tiendra le lendemain, pour les futurs entrepreneurs. Grâce à la connexion internet, j'informe Romain, mon correspondant pays pour Planet Urgence, de l'organisation très approximative de la mission sur place et des changements intervenus. Il s'en désolé, mais que faire d'autre? J'ai la situation en main, jusqu'ici tout va bien. Je sens quand même que mes nerfs vont être mis à rude épreuve !
J'insiste lourdement auprès d'Ibrahima sur la courtesse des délais, ainsi que les engagements contractuels avec Planète Urgence. "Pas de problème, on va faire au mieux...". Moui...

14:00, on part déjeuner. Nous prenons rendez-vous avec Madame Sarr, présidente du GIE pour le soir même.
15:00, il pleut des trombes. Alors que nous voulons reprendre la route pour l'aéroport, la pluie redouble d'intensité. Les essuis glace de la vieille guimbarde sont en panne. Impossible de repartir. Nous patientons. Il pleut presque autant dedans que dehors. Enfin les gouttes se dissipent. Cependant, les eaux ont envahi les rues. Les égouts vomissent des litres et des litres d'un liquide marron, boueux.
Nous sommes bloqués. Le niveau des eaux est tel que les voitures sont arrêtées. Seuls les cross-over, ou les plus hardis, osent s'aventurer dans ce fleuve urbain. Les minutes s'égrainent. Il est presque 16:00, ma journée n'a pas encore commencée. Nous devons retourner à l'aéroport pour les dispositions logistique, puis rencontrer les maraîchers et enfin aller jusqu'à Keur Massar pour rencontrer Madame Sarr.
Je bouillonne... Je sens que, vraiment, ça va être compliqué. Je désespère de ne pouvoir tenir le programme que je me suis tacitement rédigé. Je grogne à l'idée de ne pas pouvoir partager tout ce qui est nécessaire pour de simples questions d'organisation. Je veux bien céder face aux impondérables, mais buttée par désorganisation m'excède. Pourquoi ne pas simplement téléphoner pour réserver la salle? Contacter chaque stagiaire pour fixer la date et définir des maintenant le calendrier ? Il est 16:30, nous avançons enfin. Je n'ai aucune idée du planning des jours à venir...

À l'aéroport, nous faisons choux blanc. Le niveau des eaux nous pousse à faire demi-tour. Mes ballerines en daim beige maudissent l'hivernage. Sans leur dire, je soupçonne que ce voyage soit le dernier. Il faut affronter à nouveau la cohue, le tohu-bohu des véhicules, les entrailles du Dakar pollué, l'inextricable enchevêtrement des carcasses dézinguées. Le tout baignant dans une bouillasse marron, faite de boue et de déchets divers.

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