Lundi 21 septembre,
11:00. Aéroport Léopold Sedar Senghor, service généraux.
Ibrahima, correspondant local de Planet Urgence, règle
quelques affaires professionnelles. Nous en profitons pour échanger sur les
besoins.
Les termes de la mission avec Planète Urgence sont
explicites : un volontaire vient en renfort sur un projet local, à la demande
d'un correspondant dans le pays. La mission doit s'inscrire dans le
renforcement des compétences pour adultes, l'appui éducatif auprès des enfants
ou encore la protection de la faune et de la flore. Les volontaires, financés
par leur entreprise ou sur leurs fonds propres, interviennent sur une période
de 2 semaines. C'est à la fois court et extrêmement long... Avec l'enveloppe
qui lui est attribuée, le partenaire prend en charge le logement, la nourriture
et les frais de déplacement du volontaire. Il rend compte à Planète urgence des
dépenses, et doit coordonner les événements sur place pour que la mission se
passe dans les meilleures conditions. Je vais vite comprendre le fossé que peur
prendre le terme "organisation" à quelques milliers de kilomètres
d'intervalle.
Un peu plus tôt dans la journée. Il est 9:00, Ibrahima vient
me chercher à la Maison des Amis de la Nature, a l'embranchement de la route de
Keur Massar et du village du petit Mbao.
J'affronte pour la première fois la tentaculaire cité
dakaroise. Les bouchons succèdent aux bouchons. Les camions pétaradent d'une
fumée bleue, les camionnettes chargées plus que de raisons touchent presque le
sol, des bus surpeuplés transportent des voyageurs amassés comme dans une
bétaillère. Il y a aussi les moutons, placés sur le toit des bus. Je revois un
homme hisser l'animal, à bout de bras, au sommet du bus. Savez-vous seulement si
les moutons ont le vertige?
Tout au long de la route, les vendeurs de bestiaux
présentent leurs montons aux acheteurs potentiels. La "deux fois-deux
voies" est saturées. L'atmosphère est irrespirable. Sur le bas coté, des
vendeurs ambulants viennent proposer cartes téléphoniques, couteaux ou
t-shirts. Nous nous embranchons sur l'autoroute payante et hors de prix.
1000francs (soit 1,50€) pour dix malheureuses minutes. Eiffage doit se frotter
les mains... Il nous faudra presque 2 heures, en ce lundi matin, pour arriver à
l'aéroport.
Ibrahima règle quelques affaires professionnelles, pendant
que je discute avec ses collègues. À son retour, nous étudions les différentes
options de travail. Il y a bien trop de stagiaires potentiels, géographiquement
trop éloignés. Ils ne pourront pas faire le déplacement jusqu'au centre de
formation, c'est certain. Je propose de diviser l'effectif en trois groupes.
Nous convenons également qu'il serait plus simple de conduire les formations au
plus près des stagiaires.
- Groupe 1: le GIE
des femmes, à Leur Massar (environ 40km au nord est de Dakar)
- Groupe 2 : les
maraîchers, situés dans les faubourgs de Dakar, près du Golf inondé
- Groupe 3: les
futurs entrepreneurs. Ce sont les amis et collegues d'Ibrahima. Je soupçonne un
peu de copinage et d'opportunisme là-dessous... Peut être un moyen pour
Ibrahima de se valoriser aux yeux de ses collègues et pour ceux-ci d'ajouter une
corde à leur arc pour le jour où, Inch Allah, ils créeront leur entreprise...
Qu'importe, je ne suis pas là pour juger.
J'apprends que la fête de la Tabaski (plus connue chez nom
sous le nom d'Aïd) va contraindre les formations. De jeudi à samedi inclus,
Dakar tourne au ralenti. Nous ne pourrons pas travailler. De plus, Ibrahima n'a
pas planifié les séances par anticipation, les stagiaires ne sont pas prévenus,
la liste n'est pas arrêtée. Quant aux créneaux convenus de formation, de 9:00 à
17:00, les voilà balayés d'un revers de main... Début à 11:00 au plus tôt, fin
vers 16:00. Avec cela, on ne va pas aller très loin dans le programme...
Heureusement que, prise par le temps, je n'ai pas préparé trop de cours,
j'aviserai au fur et à mesure...
Je profite du temps mort de la matinée pour ajuster mon
support pour la première formation qui se tiendra le lendemain, pour les futurs
entrepreneurs. Grâce à la connexion internet, j'informe Romain, mon
correspondant pays pour Planet Urgence, de l'organisation très approximative de
la mission sur place et des changements intervenus. Il s'en désolé, mais que
faire d'autre? J'ai la situation en main, jusqu'ici tout va bien. Je sens quand
même que mes nerfs vont être mis à rude épreuve !
J'insiste lourdement auprès d'Ibrahima sur la courtesse des
délais, ainsi que les engagements contractuels avec Planète Urgence. "Pas
de problème, on va faire au mieux...". Moui...
14:00, on part déjeuner. Nous prenons rendez-vous avec
Madame Sarr, présidente du GIE pour le soir même.
15:00, il pleut des trombes. Alors que nous voulons
reprendre la route pour l'aéroport, la pluie redouble d'intensité. Les essuis
glace de la vieille guimbarde sont en panne. Impossible de repartir. Nous
patientons. Il pleut presque autant dedans que dehors. Enfin les gouttes se
dissipent. Cependant, les eaux ont envahi les rues. Les égouts vomissent des
litres et des litres d'un liquide marron, boueux.
Nous sommes bloqués. Le niveau des eaux est tel que les
voitures sont arrêtées. Seuls les cross-over, ou les plus hardis, osent
s'aventurer dans ce fleuve urbain. Les minutes s'égrainent. Il est presque
16:00, ma journée n'a pas encore commencée. Nous devons retourner à l'aéroport
pour les dispositions logistique, puis rencontrer les maraîchers et enfin aller
jusqu'à Keur Massar pour rencontrer Madame Sarr.
Je bouillonne... Je sens que, vraiment, ça va être
compliqué. Je désespère de ne pouvoir tenir le programme que je me suis
tacitement rédigé. Je grogne à l'idée de ne pas pouvoir partager tout ce qui
est nécessaire pour de simples questions d'organisation. Je veux bien céder
face aux impondérables, mais buttée par désorganisation m'excède. Pourquoi ne
pas simplement téléphoner pour réserver la salle? Contacter chaque stagiaire
pour fixer la date et définir des maintenant le calendrier ? Il est 16:30, nous
avançons enfin. Je n'ai aucune idée du planning des jours à venir...
À l'aéroport, nous faisons choux blanc. Le niveau des eaux
nous pousse à faire demi-tour. Mes ballerines en daim beige maudissent l'hivernage.
Sans leur dire, je soupçonne que ce voyage soit le dernier. Il faut affronter à
nouveau la cohue, le tohu-bohu des véhicules, les entrailles du Dakar pollué,
l'inextricable enchevêtrement des carcasses dézinguées. Le tout baignant dans
une bouillasse marron, faite de boue et de déchets divers.
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