samedi 2 janvier 2016

[Chapitre 12] Au cœur du Bamboung

Difficile de trouver une destination plus reculée. On arrive rarement au Bamboung par hasard. Il faut un grain de folie, une étincelles intrépide, une envie profonde d'atteindre l’inatteignable. Il faut avoir à chœur d'accéder au luxe de l'inaccessible.

Aux confins du delta du Saloum, un bras de mer (autrement appelé bolong) retient l’attention du voyageur. La nuit venue, les poissons bondissent et les varans se laissent glisser dans les eaux chaudes de la mangrove. Un site exceptionnel entre terre et mer, posé dans le méandreux delta du Sine Saloum où la mangrove dense et de majestueux baobabs composent le paysage.
Dans les années 2000, ce patrimoine naturel marin et côtier est menacé par les activités humaines telles que la pêche, la chasse, la destruction des habitats et les pollutions diverses. Suite à la conférence de Durban, en 2003, les états participants s'engagent à créer 10% de parcs naturels sur leur territoire. Afin d’assurer durablement une régénération des ressources halieutiques locales, 14 villages de la communauté rurale de Toubacouta s'organisent avec succès pour créer la première Aire Marine Protégée Communautaire (APMPC) fonctionnelle d’Afrique de l’Ouest : l’AMPC du Bamboung. Des lors, l'exploitation des ressources naturelles et halieutiques est interdite. Cependant, il faut trouver des ressources compensatoires pour les populations locales et modifier leurs activités génératrices de revenus. C'est ainsi que le campement de Keur Bamboung, au cœur de cet écosystème protégé, voit le jour. Il emploie une vingtaine de gardes qui surveillent et dissuadent les braconniers, ainsi qu'une trentaine de guides, cuisiniers, jardiniers... en charge de la tenue du campement. Ce dernier héberge essentiellement des volontaires venus replanter la mangrove, des colonies de vacances et quelques touristes échappés des voies trop bien bitumées. Le confort est sommaire mais l'endroit est bien propre. Les cases traditionnelles sont équipées de douche, wc et moustiquaires. La vue est imprenable.

Ecoutez... Ce silence.
Observez... La voute étoilée que seules les rares lampes torches sauraient troubler.
Respirez... Cet air qu'aucun véhicule ou usine n'ose souiller.


La nuit est noire maintenant. La brise qui se lève annonce un orage incontournable. La saison des pluies se prolonge plus que de raison cette année. Nous rentrons nous mettre à l'abri dans notre case en paille. Les éclairs se font plus nombreux. La lumière blanche semble traverser la maison de part en part. Même les fenêtres fermées, c'est comme dormir à la belle étoile. Le bruit fait tressaillir, l'orage se rapproche. Il tourne. Nous retrouvons nos 8 ans, tremblant au moindre grognement de mère nature. Avouons qu'on n'en mène pas large, au milieu de nulle part, en prise aux éléments... Enfin, l'orage s'éloigne. La température s'est considérablement abaissée. Nous plongeons dans un sommeil de plomb, dérangé par le seul bruit des oiseaux et des hyènes qui rodent.
Les journées filent tranquillement, entre balades en canoë, découvertes pédestres de la mangrove, virée au village et sortie nocturne pour observer les hyènes. Malheureusement, elles ont décidé de nous narguer. Nous les entendons ricaner au loin. Elles ne daigneront pas montrer le bout de leurs oreilles!





Dernier jour au Bamboung. Nous faisons la connaissance du conservateur de la réserve. Un type jovial au visage rieur. Il est venu faire le comptage mensuel des oiseaux de l'aire marine. Il ne paie pas de mine avec son t-shirt distendu et son bloc note de fortune.  Le déjeuner terminé, nous allons à sa rencontre. De discussions en plaisanteries, nous parlons de la réserve, du campement, de notre venue ici, de ses projets futurs, de son idée d'élevage de porcs à la frontière de la Guinée Bissau... Nous expliquons que nous ferons route vers la côte le lendemain. Lui rentre à Dakar : "Je vous remonte? Rdv à Toubacouta?". Nous apprendrons dans les minutes qui suivent que c'est un haut fonctionnaire de l'État, Commandant dans l'armée. L'homme force le respect. Nous avons une chance folle d'avoir pu discuter avec " le Commandant", alors si en plus il nous ramène, c'est au delà des espérances. Toute l'équipe du Bamboung nous signifie à quel point nous sommes choyées par le sort. Outre l'intérêt humain de la rencontre, nous bénéficions de conditions de transport inespérées. Nous ferons la route en 4x4, suspension renforcée et ceintures de sécurité. Les 150km s'avalent sans encombre. Autrement, il aurait fallu poursuivre vers le sud jusqu'à la frontière gambienne on ne sait trop comment, puis mettre cap vers le nord en Sept-Places, ballotées sur de mauvaises pistes.
Nous accompagnons le Commandant à la préfecture pour y déposer divers permis. Le temps des formalités, nous faisons la connaissance de son collègue, conservateur également. Il nous présente le projet sur lequel il travaille. Ingénieur agronome spécialisé en sociologie rurale, il a une double certification en préservation de la mangrove. Il nous explique la démarche communautaire, l'implication des populations locales, la prise de conscience environnementale alors même que la mangrove était en danger de disparition. Il y a les projets de reboisement d'eucalyptus pour éviter la coupe de bois de mangrove pour faire du charbon, la création de parcs à huitres, mobilisant les menuisiers des environs, pour contourner les coupes sauvages de branches de mangrove sur lesquelles poussent les huitres. Le projet est soutenu par une ONG hollandaise et relayée par le ministère de l'environnement. L'évaluation a mi-parcours a été très favorable. La marche est encore longue mais le train est lancé. Lui aspire à d'autres fonctions. Il aimerait reléguer au placard son treillis de conservateur, au profit d'une chemise blanche!

Nous reprenons la route. Malheureusement, le bac est "en pause" de 11:30 à 15:00... Arrêt forcé. On en profite pour déjeuner. Ce sera un n-ième Tieboudienne. C'est un savoureux riz au poisson, que je mange chaque midi depuis près de 3 semaines maintenant. Mais je ne m'en lasse pas!

Enfin, nous pouvons repartir. Plus que 85 km avant d'arriver à Mbour, en bord de l'océan.

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