mercredi 22 mars 2017

[Chapitre 5] Choc des cultures

Et bien voilà, c'est un fait. Le chinois pète, rote, crache et piaffe à table. Il bouscule sans s'excuser et ne tient pas la porte. 
Il est scotché à son téléphone portable, passe son temps à prendre des photos et à les publier sur les réseaux sociaux. 

Au delà de ces considérations de pure bienséance, me voilà propulsée au 23eme siècle. Ici toutes les transactions peuvent se régler depuis son téléphone portable : électricite, restaurant, achats au supermarché et même au petit marchand de fruits et légumes. Il peut aussi donner le solde de la carte de transport, louer un vélo ou prendre un taxi. Quelle claque! 
Dans un restaurant de fondue chinoise, la serveuse nous apporte des petits sacs hermétiques pour les protéger des éclaboussures tout en continuant à les utiliser le temps du repas, évidement!

D'ailleurs, cette omniprésence de l'instantané, du mouvement, se traduit jusque dans les musées! Rendez vous est pris pour une visite du Power Station Art Museum, le musée d'art moderne de Shanghai, situé dans une ancienne usine de production électrique. L'Art contemporain laisse peut être perplexe, mais la muséographie est décapante. Toutes les mises en valeur des œuvres sont immersives, faites d'écrans multiples, de faisceaux lumineux et de supports palpables. Ici on touche, on écoute, on regarde. On ne comprend pas tout mais en lâchant prise, le musée prend une forme vivante, vibrante. Expérience intéressante!

Comme dans les escales précédentes de Shanghai et Macao, le chinois consomme. Partout, tout le temps. Je ne compte pas les boutiques Cartier, Rolex ou Vuitton croisées sur mon chemin, les innombrables centres commerciaux et les gadgets en tous genres. Il n'y a pas que du bon goût, qu'on se le dise! Production locale oblige, on y trouve toutes les "kitcheries" possibles et  imaginables : coques de portables, clefs USB, chaussettes... Le ridicule ne tue pas, sinon risque avéré de génocide!

Il faudrait plus de temps, de la patience et de l'immersion pour appréhender plus en profondeur les cultures chinoises. Car il n'y a pas une culture, malgré la révolution culturelle, mais autant qu'il y a d'ethnies, de régions, dans ce vaste territoire grand comme 14 fois la France.
Il faudra nécessairement d'autres voyages dans ces contrées.

Affaire à suivre!

*****

Ainsi s'achève cette courte escapade au pays des dumplings, des buildings et des superlatifs. J'espère vous avoir donne un aperçu dépaysant de cette virée dans l'Empire du Milieu. Prenons cela comme un apéritif, à prolonger d'une dégustation plus longue ;)

À bientôt pour d'autres aventures,
Marine

[Chapitre 4] Suzhou, aperçu de l'autre Chine

En réalité, la vraie Chine est ailleurs. Shanghai l'avant-gardiste donne le ton, mais imprime une image différente de celle de la République Populaire. Je m'aventure donc en-dehors, direction Suzhou, à prononcer "soudjo", à 80km de Shanghai. Ne nous méprenons pas, il s'agit d'un confetti d'aperçu, tant le pays est grand et les cultures régionales diverses.

J'ai acheté mes billets de train la veille, à la Gare du Nord, après une heure de queue. Première remarque : ici on fait la queue. Partout, tout le temps. Pour entrer au resto, pour monter dans le métro... La discipline n'est pas celle de Hong Kong et il n'est pas rare de voir un quidam passer devant tout le monde, sans gêne. 

La gare est est immense. Le tableau d'affichage, écrit en chinois.Je comprends grâce au numéro du train que je dois me rentrer au numéro 3. Les informations sont en chinois. On fera avec! 
J'arrive dans une immense salle d'attente, qui "stocke" les voyageurs du train 71907. Le tableau d'affichage passe au vert. C'est le signal : il est temps d'embarquer. Une marée humaine se lève et s'approche des tourniquets. C'est une ligne à très haute vitesse. Sur le court trajet jusqu'à Suzhou, la locomotive tirera les wagons à 301 km/h. Ce n'est rien comparé aux 432 km/h du train pour l'aéroport (!) Mais ça reste hautement vénérable.

L'annonce de l'imminente arrivée me sort de mon micro sommeil. Les trajet aura duré à peine 25 minutes. Température extérieure : 7 degrés. Je sauté dans un taxi, direction la vieille ville. Le guide du routard est mon ami. Le type ne parle pas anglais, je ne parle pas chinois. Mais on y arrive.

Suzhou est connue et reconnue pour ses immenses jardins. Neufs d'entre eux sont classés au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Plus encore que des jardins, ce sont des lieux de communion entre l'homme et la nature, de fusion avec les éléments. Roches, eau, végétaux, pagodes se marient sans fausse note dans une harmonie rasserenante. 

La ville est parcourue de canaux. Les maisons basses aux façades blanches sont des dédales de pièces glacées et humides. En passant une tête dans l'encadrement d'une porte, j’aperçois un couple d'anciens, emmitouflés dans leurs doudounes, bonnet vissé sur le haut du crâne.

Les rues sont parsemées de carottes. Pattes de poulet, boulettes de poisson, tripes et autres joyeusetés jalonnent mon parcours. Je tente quelques expérimentations, toutes courronées d'échec. Décidément, je n'ai pas le coup de main!

Le ciel bas et lourd, la pluie fine et le vent glaçant ont raison de ma détermination. Je suis fatiguée, fourbue et gelée. Mon sens de l'orientation défaille. Après moultes aller-retour au bord du canal principal, je finis par battre en retraite et prendre le chemin de la gare. Un dernier effort pour avancer mon billet de train, et je prends la route pour Shanghai.

Le hasard faisant étonnamment les choses, nous retrouvons pour dîner un directeur de Master de Dauphine, que nous avons eu comme prof en dernière année. Il ouvre un parcours d'échange à Shanghai. Autour de la table, un expatrié Suez qui bosse dans le déchets, nous convenons que nous avons de probables interlocuteurs communs. Décidément, le monde est bien petit!

[Chapitre 3] Shanghai, Hyper-méga-super-latif

Rien. Tout. Plus. Trop.
Par quoi commencer? 

D'abord la ville. J'ai pris mes quartier chez Michael et Émilie. Depuis les bancs de Dauphine, il a mis le cap sur le Jura Suisse, au pays des horlogers. Avec sa moitié, ils poursuivent l'aventure ici, en Asie, où l'enseigne à la Panthère incarne le luxe à la Française. Portrait d'une échappée prestigieuse sans être tappageuse. 
Nous voilà dans l'ancienne "concession française", qui a laissé son nom au quartier. Petites maisons basses à pans coupés, avenues bordées de platanes, boutiques chiques et branchées. Direction le musée de la propagande politique, une galerie privée d'un collectionneur qui a regroupé cinquante ans d'affiches à la gloire du parti unique. Marteau, faucille, slogans rouges et figures gaies d'un peuple heureux. Le tout bordé d'infinies prétention afin de mettre en avant la valeur artistique inestimable de ce trésor dépolitise... Ben voyons!

Je pars à l'attaque de la mégalopole. Étonnamment, elle paraît sage et bien rangée. Il faut dire qu'il y a à peine vingt ans, Shanghai était une ville, comme des milliers d'autres. Sous l'impulsion d'un maire visionnaire, elle a changé de visage. En 2012, elle accueille l'exposition universelle et fait peau neuve.  Le Bond, grande promenade aménagée le long du fleuve, donne le ton. Sur la gauche, les anciens bâtiments coloniaux, vestige du temps glorieux des concessions étrangères, lorsque Shanghai était un dynamique comptoir commercial. De superbes banques Art Déco, tout droit sorties des années 30, les sièges originels de banques influentes comme la Honk Kong-Shanghai-Bank Corporation (HSBC). Sur la droite, Shanghai se tourne vers l'avenir. Le quartier neuf de Pudong est effronté. Il tient tête aux superlatifs. La Shanghai Tour est la seconde plus haute du monde, son ascenseur détient le record de vitesse. La tour de télé est à troisième plus haute. À dix-huit heures, les tours s'éclairent, avec plus ou moins de bon goût. Question de point de vue.
Pour clôturer ma virée dans l'Empire du Milieu, rien de mieux qu'un verre au 97eme étage, dans le bar de l'hôtel Hayatt. Double plaisir : le confort des fauteuils douillets de cet établissement de prestige, et la vue époustouflante sur la forêt de grattes ciels.

Paradoxalement, l'ensemble ne paraît pas démesuré. La politique d'urbanisme a permis d'accorder les axes de communication, les quartiers et les centres urbains. Ainsi chaque district est auto-suffisant, comme une "ville dans la ville". 23 millions d'habitants, dix fois plus que Paris et la petite couronne réunis... 

Il reste encore quelques vieux quartiers, vestiges de la Shanghai d'antan. Il s'agit de petites maisons basses, dans des rues etroites. Derniers bastions de l'autre Chine, sans égouts ni toilettes. Leur sort est entre les mains de promoteurs immobiliers, qui joueront bientôt du rouleau compresseur pour faire place à des grattes ciels impersonnels mais hygiéniques. 
Je fais la connaissance de deux cousins à la sortie du métro. Elle travaille chez Booking.com dans l'ouest de la Chine, lui est agent immobilier. Nous engageons la conversation, avec sourire et bonne humeur. Ils rendent visite à un cousin pour quelques jours. Je me joints à eux pour une dégustation de thés. Avec le même cérémonial qu'une dégustation de vin chez nous, je découvre le caractère quasi sacré qui entoure le breuvage. D'abord choisir un chiffre, associé à un voeux. Poir nous ce sera le "6" pour du bonheur et de la réussite. Ainsi allons nous goûter 6 thés, aux vertues curatives : Oulong, Litchee, camomille... Pour chacun, un service adapté et une température spécifique. Lucky Bouddha nous accompagne. Il faut caresser son gros ventre pour porter chance. La jeune femme prend une attention particulière pour me traduire chaque étape. Au moment du 6eme thé, la "maître du thé" nous propose un thé d'une grande rareté (à 20€ la tasse, tout de même). Je passe mon tour. Je viens de comprendre que chaque petite tasse coûte à elle seule 7€, l'addition s'annonce salée. Problème, si on ne prend pas le dernier thé, nous serons à 5 et donc n'atteindrons pas le bonheur et la réussite. Superstition quand tu nous tiens... On se rabat sur un autre thé, bien moins cher. Visiblement le coeur du sujet m'échappe encore un peu! 
Je m'attaque ensuite à la "vieille ville" rénovée. Autrement dit, une belle vitrine de la Chine des cartes postales, construite de toute pièce dans les années 1990. Elle abrite tout un tas de boutiques et d'attrapes touristes. À un feu rouge, je fais la connaissance d'un monsieur à l'anglais impeccables. Il doit avoir 70 ans passés. On fait un bout de chemin ensemble. On parle de tout : nouvel an chinois, stagnation économique en Chine, dynamisme de Shanghai, politique étrangère, Hollande, le Pen, sortie possible de la zone Euro et ses conséquences. Je lui parle de mon boulot, lui du sien. Il est producteur de perles et bijoutier. On arrive aux pieds de ses locaux. Il me propose de monter et de m'expliquer comment ça marche. "OK, mais je n'achète rien!". Au premier étage, une belle boutique et 4 vendeuses. J'ai le droit à une explication en anglais sur les perles de cultures. Savez vous que les perles de rivières sont produites en introduisant des morceaux de viande dans les huîtres? Jusqu'à 100 pour un maximum de 20 perles? Que ce sont les nutriments qui donnent les couleurs de perle? Raison pour laquelle les perles de couleurs sont plus chères, car plus rares... Après des négociations serrées avec le patron lui meme, je repars avec une paire de boucles d'oreilles et le souvenir d'une belle rencontre.

Je finis la matinée autour d'une poignée de dumplings, des raviolis chinois, dans le plus vieux resto de la ville, toujours sur les recommandations de mon papi business man. Ce jour il n'y a pas grand monde, seulement 20 minutes de queue!

[Chapitre 2] Macao, mirage en mer de Chine

L'avantage de ne pas préparer son voyage, c'est que la surprise est complète, totale. Il y a bien ces images chimériques tissées à la seule évocation du nom "Macao", mais que peuvent-elles encore représenter? Sont-elles des fantômes du passé ou ont-elles traversé les couloirs du temps?

Me voilà donc embarquée vers la folle Macao. Folle? Comme au temps du comptoir colonial portugais, où les marins et marchands noyaient leur éloignement dans l'alcool de riz, soignaient leur solitude dans les bras des filles de joie, et perdaient leur rente dans des tripots enfumés. Macao fut le premier port européen en Chine, bien avant Hong Kong. Il resta sous domination portugaise pendant 500 ans, jusqu'en 1999, avant de passer discrètement sous l'égide chinoise. 
À bord du ferry, bercée par le clapot de la mer de Chine, je plonge dans l'histoire riche et dynamique de ce caillou de 29km². 
Le vieux centre a conservé ses bâtiments coloniaux et ses églises portugaises. Classé à l'UNESCO, il est un exemple typique d'architecture coloniale.

La traversée en ferry dure une heure. Le bateau est plein de chinois en route pour les casinos de cette Las Vegas asiatique. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille...
J'ouvre les yeux et sors de ma torpeur. L'ile est en vue, droit devant. J'interrompt mes pensées. Images irréelles. Le petit port de pêche d’antan a disparu. Devant mes yeux écarquillés, des immeubles flambants neufs, des casinos tapageurs, une tour parmi les 15 plus hautes au monde. L'hôtel "le Lisboa" ressemble à un épi de blé géant, illuminé comme un sapin de Noël à la nuit tombée. Je reste sans voix. C'est donc cela, le Macao de 2017?! Je ne suis pourtant pas au bout de mes surprises.

Passage de douane, visa, bus public n°3. Me voilà en route, pour un saut à cloche pieds dans le XVIIeme siècle. Un pied au Portugal, l'autre bien ancré en Chine. Les églises vert pastel côtoient les innombrables magasins aux enseignes lumineuses, entre lesquels s'intercalent théâtre et dispensaires. Les petites maisons basses manquent d'entretien, vouées au culte de la consommation de masse. La vieille cité a triste allure, malgré un charme certain. Sans politique de préservation du patrimoine, la mythique Macao risque de n'exister que dans des romans d'un autre temps.

Place au dépaysement! Enseignes en portugais, qui reste la langue officielle, restaurant de cuisine macanaise, savant mélange de cuisines portugaise et chinoise. Sans oublier ces incroyables sablés aux cacahuètes et amandes, un régal. Elles existent aussi au sésame noir et ... Au porc séché! Quelle surprise lorsque la gourmandise m'a conduit à accepter celui que me tendait une vendeuse. Erreur fatale... Il était au porc. Immonde. Beurk...

Après une agréable balade à pieds dans les ruelles pavées du vieux Macao, il est temps de me diriger vers l'ile de Taipa. Me voilà au centre de tous les superlatifs. Las Vagas, à côté, passerait pour un village de vacances. 42 milliards d'euros générés en 2013, contre 6 milliards pour la cité du jeu américaine. Je mets les pieds dans le temple de la démesure.

Immenses, lumineux, clinquants, surdimensionnés, scintillants. Les bâtiments s'égrainent en un chapelet de resorts luxueux. Je pénètre dans "The Vénitian". Le propriétaire des lieux y a reconstruit Venise: place Saint Marc, pont des Soupirs, canaux et ... gondoles!
Le marbre est en provenance réelle d'Italie, les gondoliers d'Europe, les chants en Italiens. 
Les boutiques de luxe se succèdent, rivalisent de vitrines alléchantes. Tout transpire le luxe tapageur. Et puis il y a les salles de jeux. Machines à sous, tables de cartes. Les croupiers tendent la main aux futurs clients. Les mises d'entrée sont colossales, 250€. Photos interdites, âge minimal 21 ans. Pas de pendules, pour voir les heures s'écouler. Dans les galeries, pas de sièges pour se poser. Consommer. Partout. Tout le temps.
Hélas, les casinos font moins recettes. Les manias du tourisme du jeu sont toujours aussi puissants, mais les luttes contre le blanchiment d'argent réduisent les transactions.

Pour renouveler le genre et attirer toujours plus de visiteurs, les casinos développent une activité de divertissement. Dans le complexe "City of Dreams", un show digne des grandes productions hollywoodiennes attire 4000 spectateurs par jour. En ce 14 février, j'étais des leurs, pour une expérience mémorable. 
Imaginez. La scène est un bassin contenant l'équivalent de 4 piscines olympiques. Les gradins l'entourent à 360 degrés. Un écran géant de 20x20 mètres sert de décor. 100 artistes, danseurs, cascadeurs, acrobates et contorsionnistes s'activent sur scène 200 autres personnes assurent l'ingénierie, la sécurité, les costumes, la régie, l'approvisionnement en oxygène des nageurs/danseurs. Un mécanisme incroyable de décors fait sortir de l'eau une épave de vieux voilier, puis une pagode chinoise.  Des acrobates descendent du ciel, à 40m de haut. Soudain la piscine s'assèche. Un plancher sort des abysses et la recouvre. Le spectacle qui a débuté en mer continue sur terre. Une histoire de princesse à délivrer. Un mélange de pirates de Caraïbes et de Notre Dame de Paris. Les musiciens jouent en live pour un show sans fausse note. Tout est sous contrôle. Même les acrobaties croisées de 7 motards qui s'élancent à travers la scène sont dans le scénario. No limit. Seule la créativité du metteur en scène italien pose les bornes. La salle a été construite sur mesure pour le spectacle. Montant de l'addition : 250 millions de dollars.

Après 1:30 de représentation, le souffle coupé, des étoiles plein les yeux, je monte dans un bus à destination du terminal des ferries pour Hong Kong. Cette journée était follement irréelle. Mirage ou réalité? Paillettes éphémères ou ancrage durable ? De vraies contradictions éthiques et de responsabilité sociétale pointent derrière tout cela.
Au delà de ces considérations, un seul mot... Waouh!

Merci à la famille Kieffer de m'avoir permis de vivre une expérience aussi décapante. Merci pour votre accueil, votre bonne humeur et vos conseils éclairés! 

Prochaine étape : Shanghai.
À suivre...

[Chpitre 1] Hong Kong, errances urbaines

Portrait chinois.

Si j'étais un animal, je serais un écureuil. Il faut son agilité pour se hisser à travers les buildings. Vertige la tête en l'air, dominée par ces tours à la hauteur infinie. Regard en contrebas. Vertige encore, devant ces axes bétonnés qui s'entremêlent dans un entrechat encombré de ponts suspendus, passerelles aériennes et escalators de tous les superlatifs. C'est ainsi que je grimpe sur les sommets de la tentaculaire Hong Kong à travers l'escalier mécanique le plus longtemps  du monde. 800 mètres de long, pour me hisser à flanc de coline. Tiens, d'ailleurs, il ne fait que monter. Dans l'autre sens, il faut s'aventurer à travers les méandres des escaliers de béton. Me voilà dans le quartier des affaires. Les banques succèdent aux banques, les établissements financiers s'y font une place. À l'heure de déjeuner, tailleurs et costumes cintrés s'amassent devant les restaurants. La fourmilière grouille. Les enseignes aux idéogrammes de toutes les couleurs s'entrecroisent avec des noms en anglais, dominent la mêlée de piétons, taxis, businessmen, bus et autres vendeurs ambulants, masquant le mauvais état général des immeubles.

Si j'étais un objet, je serai un sac. Une belle marque à l'occidentale, bien chère, qu'on exhibe fièrement. Je suis ce que je possède. Alors si je n'ai pas les moyens d'avoir, je fais comme si... À défaut d'un sac Vuitton, je porte fièrement l'emballage en carton sur mon épaule droite. Pour donner le change. Dans ce ballet sans fin de la société de consommation, il y a aussi les vrais riches. Ceux dont la fortune file le tournis. Il faut dire que pour habiter sur l'île, ce n'est pas un sac à main qu'il faut, c'est une armée de billets de banque! Sur la côte, les villas de luxe s'arrachent à plusieurs dizaines de milliers d'euros de loyer mensuel. A ce prix là, quand meme, la vue est sympa!

Si j'etais une couleur, je serais le vert. Paradoxalement, l'ile est verte à perte de vue. Depuis le Peak Victoria, la vue sur la baie est à couper le souffle. Les gratte-ciel s'articulent comme des cure-dents. Ils se toisent de haut, se font de l'ombre. Dans ce micro-environnement resseré, les espaces verts se font rares. Puis quand on tourne le dos à la City, le regard se porte sur l'autre versant de l'ile, couvert de forêts. Un camaïeu de verts, autant d'essences végétales qui se disputent les flancs de montagne. Les îles avoisinantes sont couvertes de la même toison. Les 130 000 habitants au km2 du quartier de Monkok semblent un mirage. Et pourtant! 

Si j'étais un ingrédient, je serai un de ces trucs étranges de la pharmacopée traditionnelle. Aileron de requin, champignon aux vertues aphrodisiaques ou corne de rhinocéros. Les petites échoppes rivalisent de produits naturels emprunts de superstition. En un instant, on se trouve prejeté en Chine, enfin. Parce que Hong Kong, on a beau dire, ce n'est quand même plus anglais, sans être vraiment chinois non plus. Quoi que... Ils sont nombreux, les bougres!

Si j'étais un élément, je serai l'eau. Parce que mon statut insulaire m'a permis de devenir un comptoir colonial d'envergure. Au fil des années, j'ai pris de l'ampleur. J'ai attiré les marchands du monde entier en cette fin de 19eme siècle florissant. C'est par la force des armes que l'Empire britannique s'impose sur ce caillou tropical  dépeuplé. Les anglais, pris dans une spirale commerciale déficitaire, bousculent l'ordre établi en introduisant l'opium comme monnaie d'échange avec les marchands chinois. Les recettes de l'opium de contrebande rapportent à la grande Bretagne de quoi constituer son armée. Cette dernière est suréquipée face aux troupes chinoises mal équipées. Deux guerres de l'opium ont raison de la domination chinoise. Voilà Hong Kong britannique et fière de l'etre. La voie est ouverte et le vieux caillou devient un haut lieu de l'activité humaine. Nous sommes au milieu du XIXeme siècle. Un siècle plus tard, la cité-État devient la seconde place financière au monde. 

Si j'étais un sens, je serai l'ouïe. Pas un instant sans qu'elle ne soit sollicitée. Tout tintamarre dans cet espace surpeuplé. Les klaxons, les vendeurs criards, les radios hurlantes, les badauds bavards, les sonneries stridentes des téléphones portables . Seules les voitures électriques viennent semer un troublant silence dans ce chaos ambiant.

Hong Kong. Je suis tout cela et bien plus à la fois. Troublante, enivrante, trepignante. À cheval entre deux mondes, l'Orient et l'Occident, j'ai aussi un pieds dans un riche passé et l'autre vers un futur ambigu. Resterais-je accroché à la cité coloniale d'antan, ou serais-je absorbée par la Grande Chine? 
Je me cherche dans cet écrin de complexité, laissant au visiteur rêver devant tant de contradictions.

Bien à toi, lecteur.