L'avantage de ne pas préparer son voyage, c'est que la surprise est complète, totale. Il y a bien ces images chimériques tissées à la seule évocation du nom "Macao", mais que peuvent-elles encore représenter? Sont-elles des fantômes du passé ou ont-elles traversé les couloirs du temps?
Me voilà donc embarquée vers la folle Macao. Folle? Comme au temps du comptoir colonial portugais, où les marins et marchands noyaient leur éloignement dans l'alcool de riz, soignaient leur solitude dans les bras des filles de joie, et perdaient leur rente dans des tripots enfumés. Macao fut le premier port européen en Chine, bien avant Hong Kong. Il resta sous domination portugaise pendant 500 ans, jusqu'en 1999, avant de passer discrètement sous l'égide chinoise.
À bord du ferry, bercée par le clapot de la mer de Chine, je plonge dans l'histoire riche et dynamique de ce caillou de 29km².
Le vieux centre a conservé ses bâtiments coloniaux et ses églises portugaises. Classé à l'UNESCO, il est un exemple typique d'architecture coloniale.
La traversée en ferry dure une heure. Le bateau est plein de chinois en route pour les casinos de cette Las Vegas asiatique. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille...
J'ouvre les yeux et sors de ma torpeur. L'ile est en vue, droit devant. J'interrompt mes pensées. Images irréelles. Le petit port de pêche d’antan a disparu. Devant mes yeux écarquillés, des immeubles flambants neufs, des casinos tapageurs, une tour parmi les 15 plus hautes au monde. L'hôtel "le Lisboa" ressemble à un épi de blé géant, illuminé comme un sapin de Noël à la nuit tombée. Je reste sans voix. C'est donc cela, le Macao de 2017?! Je ne suis pourtant pas au bout de mes surprises.
Passage de douane, visa, bus public n°3. Me voilà en route, pour un saut à cloche pieds dans le XVIIeme siècle. Un pied au Portugal, l'autre bien ancré en Chine. Les églises vert pastel côtoient les innombrables magasins aux enseignes lumineuses, entre lesquels s'intercalent théâtre et dispensaires. Les petites maisons basses manquent d'entretien, vouées au culte de la consommation de masse. La vieille cité a triste allure, malgré un charme certain. Sans politique de préservation du patrimoine, la mythique Macao risque de n'exister que dans des romans d'un autre temps.
Place au dépaysement! Enseignes en portugais, qui reste la langue officielle, restaurant de cuisine macanaise, savant mélange de cuisines portugaise et chinoise. Sans oublier ces incroyables sablés aux cacahuètes et amandes, un régal. Elles existent aussi au sésame noir et ... Au porc séché! Quelle surprise lorsque la gourmandise m'a conduit à accepter celui que me tendait une vendeuse. Erreur fatale... Il était au porc. Immonde. Beurk...
Après une agréable balade à pieds dans les ruelles pavées du vieux Macao, il est temps de me diriger vers l'ile de Taipa. Me voilà au centre de tous les superlatifs. Las Vagas, à côté, passerait pour un village de vacances. 42 milliards d'euros générés en 2013, contre 6 milliards pour la cité du jeu américaine. Je mets les pieds dans le temple de la démesure.
Immenses, lumineux, clinquants, surdimensionnés, scintillants. Les bâtiments s'égrainent en un chapelet de resorts luxueux. Je pénètre dans "The Vénitian". Le propriétaire des lieux y a reconstruit Venise: place Saint Marc, pont des Soupirs, canaux et ... gondoles!
Le marbre est en provenance réelle d'Italie, les gondoliers d'Europe, les chants en Italiens.
Les boutiques de luxe se succèdent, rivalisent de vitrines alléchantes. Tout transpire le luxe tapageur. Et puis il y a les salles de jeux. Machines à sous, tables de cartes. Les croupiers tendent la main aux futurs clients. Les mises d'entrée sont colossales, 250€. Photos interdites, âge minimal 21 ans. Pas de pendules, pour voir les heures s'écouler. Dans les galeries, pas de sièges pour se poser. Consommer. Partout. Tout le temps.
Hélas, les casinos font moins recettes. Les manias du tourisme du jeu sont toujours aussi puissants, mais les luttes contre le blanchiment d'argent réduisent les transactions.
Pour renouveler le genre et attirer toujours plus de visiteurs, les casinos développent une activité de divertissement. Dans le complexe "City of Dreams", un show digne des grandes productions hollywoodiennes attire 4000 spectateurs par jour. En ce 14 février, j'étais des leurs, pour une expérience mémorable.
Imaginez. La scène est un bassin contenant l'équivalent de 4 piscines olympiques. Les gradins l'entourent à 360 degrés. Un écran géant de 20x20 mètres sert de décor. 100 artistes, danseurs, cascadeurs, acrobates et contorsionnistes s'activent sur scène 200 autres personnes assurent l'ingénierie, la sécurité, les costumes, la régie, l'approvisionnement en oxygène des nageurs/danseurs. Un mécanisme incroyable de décors fait sortir de l'eau une épave de vieux voilier, puis une pagode chinoise. Des acrobates descendent du ciel, à 40m de haut. Soudain la piscine s'assèche. Un plancher sort des abysses et la recouvre. Le spectacle qui a débuté en mer continue sur terre. Une histoire de princesse à délivrer. Un mélange de pirates de Caraïbes et de Notre Dame de Paris. Les musiciens jouent en live pour un show sans fausse note. Tout est sous contrôle. Même les acrobaties croisées de 7 motards qui s'élancent à travers la scène sont dans le scénario. No limit. Seule la créativité du metteur en scène italien pose les bornes. La salle a été construite sur mesure pour le spectacle. Montant de l'addition : 250 millions de dollars.
Après 1:30 de représentation, le souffle coupé, des étoiles plein les yeux, je monte dans un bus à destination du terminal des ferries pour Hong Kong. Cette journée était follement irréelle. Mirage ou réalité? Paillettes éphémères ou ancrage durable ? De vraies contradictions éthiques et de responsabilité sociétale pointent derrière tout cela.
Au delà de ces considérations, un seul mot... Waouh!
Merci à la famille Kieffer de m'avoir permis de vivre une expérience aussi décapante. Merci pour votre accueil, votre bonne humeur et vos conseils éclairés!
Prochaine étape : Shanghai.
À suivre...