jeudi 28 mai 2015

[Chapitre 12] Dans les yeux bleus d'Isfahan

À peine nos sacs poses a l'hôtel, la tentation est trop forte. Nous nous engouffrons dans les ruelles étroites qui enserrent le bazar. A cette heure, l'activité bat son plein. Les artisans cisellent des plateaux en argent, d'autres dessinent des arabesques voluptueuses sur des assiettes bleues. Il y a aussi les miniaturistes, les marchands de tapis et autres commerçants aux étoffes colorées. Nous quittons les allées couvertes du bazar pour rejoindre la vaste place.
Le soleil arrose de ses derniers rayons les briques ocres de la place royale. Splendeur...

On ne rejoint pas Isfahan sans avoir rêvé pendant les trois heures de trajet aux discussions animées des caravansérails, à toutes les richesses matérielles et spirituelles que l'Orient et l'Occident ont pu échanger pendant plus de quinze siècles. Il faut s'être préparé à tant de splendeur. À cette orgie de couleurs et d'arabesques, au turquoise des coupoles qui semble défier l'émeraude et le lapis-lazuli des céramiques. Au labyrinthe des médersas, des mosquées, des bains, des harems et des mausolées dont les noms complexes se mêlent aux généalogies des différentes dynasties. La légende raconte que celui qui a vu Ispahan a vu la moitié du monde. La légende dit peut être vrai...
De hauts murs abritent des échoppes, formant une vaste place carrée. Au centre, on y trouve des jardins et des fontaines. De part et d'autre de la place, de hautes portes sont couvertes de céramiques bleues. Il y a aussi le palais Ali Qapu et ses plafonds de bois finement peints
Silence. La beauté des lieux est a couper le souffle.

Notre visite de la ville se poursuit dès le lendemain. Nous prenons la direction de la Mosquée du Sheikh Lotfollah surplombée d'un superbe dôme jaune aux arabesques délicates puis nous faisons route vers la mosquée du Vendredi au nord de la ville. Un vaste réseau de bazars serpente à l'ombre sous de hauts murs de brique . il permet de traverser la ville sans jamais mettre le nez dehors. Nous arrivons à la Mosquée du Vendredi. Construite sur 10 siècles, elle porte les traces d'autant de courants architecturaux différents. Au début de l'ère safavide (XVIème siècle), les céramiques bleues apparaissent en pointillés. Elles viennent habiller les constructions de briques, au décor harmonieux. Puis le bleu devient plus présent, plus intense. Les pigments de lapis-lazuli prennent leurs traits de noblesse. Les rayons du soleil, maintenant au zénith, viennent rehausser la splendeur des lieux.

Il est bientôt l'heure de regagner la maison de Ghazale, notre hôte d'Ispahan. Elle nous invite a déjeuner, avec son petit Navid de 4 mois seulement. Discrète, souriante, elle est d'une aide précieuse pour la préparation de notre séjour. Le lendemain soir, nous dormirons dans son vaste salon. Au dîner, nous récidivons l'opération "ratatouille". Un petit moment de France a partager avec Saïd son mari, sa tante et sa fille Bahar qui apprend le français. Ils viendront a Paris en août, si Dieu le veut!

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette ville, les rencontres que nous y avons fait et les trésors qu'elle recèle. Cette cité est incroyable et ne peut laisser le visiteur indifférent. Il est temps pourtant de tourner la page, de changer de chapitre. Nous partons pour de nouvelles aventures, direction Shiraz.

En fermant les yeux, les dessins délicats des céramiques bleues d'Ispahan continuent à habiter mes rêves. Il faudra revenir, certainement...

[Chapitre 11] - "C'est l'histoire d'un mollah..."

"C'est l'histoire d'un mollah qui suit un bus de militaires iraniens. Les jeunes soldats dansent et chantent, en direction du front irakien. Soudain la voiture du mollah double le bus. Les soldats changent de registre : chants religieux et larmes d'opérette. Quand le mollah les dépasse, les soldats recommencent a chanter et a s'amuser!".
Rires.

"On raconte beaucoup de blagues sur les mollah" nous souffle Monsieur I*. dans un soupire rieur .
Nous profitons des premières heures de la nuit sur un tapchak, sorte de plateforme en bois couverte de tapis. Assis en tailleur ou jambes tendues, nous sirotons le verre de thé préparé par Massoumeh.

Plus tôt dans la soirée, nous avons déposé nos bagages, vivres et couvertures dans le "connexe", comprenez l'un des hebergements annexes au caravansérail. Ce dernier a été entièrement réservé par un groupe de retraités iraniens originaires de Téhéran. Malgré le confort spartiate du bungalow dans lequel nous allons passer la nuit, la soirée allait s'inscrire comme l'une des plus marquantes qui nous soit donnée de vivre.

Étrange atmosphère. Nous prenons nos marques. Regards croisés avec Justine : il n'y a que des hommes. Massoumeh me fait remarquer qu'il me faut remettre mon gilet. Les hommes d'ici ne sont pas habitués a tant de frivolité. Il faut dire que mon chemisier descend tout juste en dessous de mes fesses! Après une rapide visite du caravansérail, il est l'heure de dîner.
Alors que nous fumions lentement le Narguilé apporté par Ali, un homme aux cheveux blancs et a la moustache est venu échanger avec nous, dans un anglais impeccable. Il était heureux d'échapper à son groupe d'anciens combattants, qui n'avaient guère de conversation et priaient du soir au matin.

Nasser I. nous raconte qu'il est un  ancien pilote de ligne. Au fil de la conversation, nous apprendrons qu'il a été l'un des héros de la guerre Iran-Irak, reconnu pour des faits d'armes dans des batailles décisives. Nous comprendrons également qu'il est interdit de quitter le territoire. Sûrement pour des propos trop peu policés et une libre pensée incompatible avec le courant majoritaire.
Monsieur I. est un homme plein d'entrain et de bonne humeur. Il est bientôt rejoint par deux jeunes, les photographes du groupe. L'un d'eux sort une vidéo. C'est le shah d'Iran, avant la révolution. Avant la république islamique " Avant on était libre" dit-il. "Les mollah ont apporté la tristesse et la haine. Ce n'est pas ce que Dieu veut. Qui peut interdire les homme d'être heureux? De chanter?". Monsieur I aime chanter, en français, en farsi ou en anglais. 
" When I was a little girl,
I asked my mother, what I will be
Will I be pretty, will I be rich
Here's what she said to me...",commence-t-il a entonner, d'abord a demi-voix. 

Nos compagnons de tablée viennent l'accompagner en claquant des doigts. Derrière nous, à peut être cent mètres, un homme gros et gras fait les cents pas "he is a Mollah" nous glisse-t-il. Et alors, comme un pied de nez au regime, comme pour se prouver qu'on existe malgré ce pouvoir oppressant, Nasser élevé la voix, chante plus fort. Il flotte comme un air de liberté dans le désert de Maranjab, en ce dimanche de mai.

Les visages se tendent, les rires cessent. Un homme d'une trentaine d'années, chemise à haut col blanc et à la barbe bien taillée s'est invité à notre table. C'est un mollah. Il est accompagné de jeunes hommes, la vingtaine a peine, qui le suivent comme son ombre. Ce sont des gardiens de la révolution.
Sans même nous décrocher un regard, le mollah bombarde Massoumeh de questions à notre sujet. Le climat a changé, chaque mot semble pesé. Bien que nous ne comprenions pas tout, loin de là, notre présence intrigue et semble en contradiction avec les référentiels de ces hommes de pouvoir, de terreur.
Monsieur I. continue de converser avec nous, en anglais. Il nous assure que ces hommes ne sont pas représentatifs du peuple iranien. Ce dernier a été conquis par les musulmans, mais gardent en eux les valeurs du zoroastrisme : avoir le coeur pur, l'esprit honnête et le parler franc. 

Derrière le Mollah, ses deux sbires s'attachent a nous photographier, Justine et moi, en douce derrière leur smartphone. Et Allah dans tout ça?
Le type libidineux finit par nous rejoindre. Il interroge sur notre religion. Massoumeh explique que nous sommes catholiques. Les visages se figent.
Nous n'aurons malheureusement pas la traduction de l'intégralité de la conversation. Elle était sûrement d'un vif intérêt...

Une fois les mollah partis, nous avons conversé avec Monsieur I. jusque tard dans la nuit. De la guerre Iran-Irak, ce conflit fratricide qui arrangeait bien l'Occident, de ses études aux états unis, de ses conquêtes, de sa femmes avec qui il ne partage plus rien et dont il va divorcer, de l'Iran et de ses merveilles.
"Vous êtes deux adorables jeunes femmes. Si vous n'étiez pas si jeune et moi si vieux, je vous prendrais comme fiancées". En me regardant : "Allez, emmène-moi avec toi, on se marie - Je ne suis pas si vieux. Seuls mes cheveux sont blancs, tout le reste est très jeune - Mon dieu, si ma femme entendait ça!". Rires.

Ainsi s'est achevée cette soirée mémorable, quelque part dans le désert de Maranjab, au pied d'un caravansérail que tant d'hommes ont fréquenté. Loin, très loin, de notre monde connu.

Le lendemain dans la voiture, alors que nous quittons cette parenthèse intemporelle, Massoumeh se tourne vers nous : "About yesterday. Forbiden you to speak. Secret."
Il résonne encore dans ma tête cet air de liberté: "When I was juste a little girl..."

* Monsieur I : Monsieur Nasser Izadi. Compte tenu de la teneur des propos de cet article, j'ai volontairement flouté le nom de notre interlocuteur le temps de notre voyage.

[Chapitre 10] - Pour leur montrer qu'ils ont tord

"A ce rythme la on va repartir avec 5000 photos"
"Oui, mais comme ça on pourra leur montrer qu'ils ont tord" répondit Justine à sa comparse de voyage.

Tord de bout en bout. Ce pays est tellement loin de tout ce qu'on imagine. Noyés dans l'ignorance, encombrés par les discours politisés, les voyageurs viennent peu nombreux a la rencontre du peuple iranien et de sa culture millénaire.
  • Tord sur le rôle de la femme. Parce que les femmes conduisent, étudient et travaillent. 
  • Tord sur la situation économique du pays. Par ce que même si les difficultés ne sont pas minimes, que le chômage est loin d'être négligeable, la pays commerce avec le reste du monde, en particulier avec la Chine.
  • Tord sur l'accès aux médias et aux informations. Parce que toutes les familles ont le satellite et profitent de programmes iraniens hébergés a Dubaï. Parce qu'ils ont accès a Facebook, skype et whatsap.
  • Tord sur le rapport a la religion. Car les plus rigoristes ne sont pas majoritaires, mais qu'ils font beaucoup d'ombre aux plus modérés.
  • Tord sur les infrastructures du pays. Parce que le réseau routier est dans un état que peu de pays sauront égaler, parce qu'il est possible d'acheter ses billets de bus sur internet, parce que les trottoirs sont pavés et propres 
  • Tord sur l'intérêt du pays, qui ne compte pas moins de 17 sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO...

N'en déduisez pas trop vite que ce pays n'a aucun tord. Je pourrais aussi vous parler des mariages arrangés, de la dettes du pays, de l'homosexualité passible de la peine de mort, du taux de chômage qui frise les 30%...Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit ici...

[Chapitre 9] - Marchands d'étoffes

Le soleil décline vers le lointain. Les dunes s'ornent d'ocre beige, virant parfois sur l'orange. Les bergers battent le rappel de leurs troupeaux de chameaux.
La nuit est dangereuse dans le désert. Guépards et loups rodent à la recherche de leurs proies. Il y a aussi des brigands, attirés par les trésors transportés par des marchands venus de toute l'Asie Centrale.

Nous sommes peut être en 1670, peu ou proue. Timur a fait la route depuis Kashgar, en Chine. Il y a là-bas un grand marché et des soieries réputées. Sa peau brunie par le soleil laisse apparaître de petits yeux rieurs, à la forme allongée.Il a fait de sa vie une transhumance. Voilà quatre ans maintenant qu'il s'est lancé dans cette épopée, revenant chaque fin de saison dans son village natal. Il a repris la route il y a 3 mois, tout juste après les dernières neiges. Il a traversé les montagnes jusqu'à la vallée de la Ferghana, en territoire ouzbèke. Il a ramené de Boukhara quelques tapis, qu'il espère revendre à Istanbul Généralement, les marchands ne partent pas si loin. Mais Timur est audacieux, curieux du monde qu'il l'entoure.
Il a marché toute la journée a travers le désert. Son cheval est chargé de marchandises. Tous deux sont épuisés. Le Caravansérail parait encore loin.
Telle une citadelle perdue dans l'immensité, ses formes se fondent dans la nature. Timur sait qu'il trouvera ici le gite, le couvert et surtout la sécurité. Des gardes armés s'assurent que les hôtes peuvent commercer en toute quiétude et trouver le repos dont ils ont fort besoin. Cette condition est indispensable pour perpétuer les échanges marchands.

Au pied des portes, Timur fils de Abir, né à Baba Ali près de Kashgar, montre patte blanche. Il est déjà bien tard . Les caravanes sont arrivées depuis longtemps. Timur est épuisé.
La lourde porte en bois ciselée d'étoiles et certie de métal s'ouvre devant lui. A l'intérieur, les hommes s'afférent. Dans les alcôves, les marchands offrent leurs précieux trésors en échange d'autres biens qu'ils pourront revendre ailleurs. A l'étage, d'autres ont trouvé le sommeil, harassés par un long voyage. Il se serrent, couchés sur d'épais tapis. La nuit est froide dans le désert à cette heure.
Timur conduit son cheval à l'étable. Il y en a une de chaque côté du caravansérail. Les bêtes y trouvent de l'eau et du foin. Elles doivent de reposer pour affronter une nouvelle journée. Il est également possible, si on en paie le prix, de changer sa monture pour une meilleure. Ceux qui veulent aller vite et qui en ont les moyens s'offrent ce service.

Pour l'heure, Timur se dirige vers les cuisines. Pour quelques Tomans, il peut de rassasier de riz et fruits secs. Il y a aussi un feu, sur lequel grillent des Kebab, ces brochettes d'agneau ou de boeuf dont les marchands raffolent.
C'est l'heure du thé. Massoumeh nous apporte des tasses et du sucre. Je relevé la tête et sort de mes songes. La tête dans les étoiles, je ne sais pas qui de Timur ou de moi rêvera le plus longtemps de cette journée et de toutes celles qui nous attendent encore, quelque part sur les Routes de la Soie...

[Chapitre 8] Quelques jours de plus a Kashan

Jour 2 : Kashan. Arrivée fin d'après midi, départ le lendemain en fin de journée pour passer une nuit a Abyaneh.
Voilà donc ce que nous avions savamment pensé dans notre itinéraire papier. Itinéraire préparé à la hâte avant notre départ. Des mots sur le papier pour dessiner une route. Notre route. Notre rencontre avec Massoumeh et Ali va changer la donne.

Monsieur Ali est venu nous chercher au terminus du bus en provenance de Téhéran. Massoumeh est arrivée une heure plus tard, après l'école. Elle est institutrice, dans une école proche de la maison. Nous faisons connaissance. Immédiatement, l'alchimie opère. Les éclats de rire ne tardent pas. Notre farsi est débutant, leur anglais est approximatif. Qu'importe.

Justine a un prénom vraiment trop compliqué pour nos amis iraniens. Trop complexe à retenir. Au début, Marine se conjugue au pluriel, désignant les deux blondinettes. Comme un fait du hasard, ce prénom a un équivalent iranien. Souvent, on m'a demandé pourquoi mes parents m'ont donné un prénom persan. Si seulement ils s'en étaient doutés! Justine sera désormais "Shahine". La voilà renommée, au second jour de notre voyage. Ceci simplifie énormément les discussions. Cette fois, nous sommes plus iraniennes que jamais!
Nous discutons de notre itinéraire. Il y a tellement à faire à Kashan et dans ses environs... Et puis, nous nous sentons bien dans notre nouvelle famille. Alors c'est décidé, nous resterons deux jours de plus à Kashan. pour remercier nos hôtes de leur hospitalité, nous leur proposons de cuisinier un plat typiquement de chez nous : une ratatouille.






La soirée se consumme agréablement. Ali m'embarque pour de rebondissantes parties de Tartenard. Je comprendrais seulement plus tard qu'il s'agit du Backgammon, un jeu de dés sur plateau en bois. Il y a pas mal de stratégie là dessous. Cependant, je peine à en comprendre les règles du jeu, expliquées en farsi. Je gagnerai tout de même avec mérite deux parties!






23:00, c'est l'heure de dîner. Massoumeh découpe une nappe en plastique dans ce qui ressemble à un rouleau de sac poubelle coloré. Nous posons la nappe sur l'élégant tapis beige. Puis nous y ajoutons les assiettes, cuillers et fourchettes. point de couteau à la table iranienne.

Le lendemain, nous partons à la découverte du village traditionnel d'Abyaneh. Les constructions de pisée rouge s'accrochent à la montagne, comme pour contredire les lois de la gravité. Les anciens portent des tenues traditionnelles. Pantalons bouffants pour les hommes, voiles fleuris pour les femmes. Nous déambulons longuement dans ce village intemporel.
L'après midi, après une sieste bienvenue, ALi nous embarque dans une virée au bazar de Kasha. Le dédale des rues voûtées nous attend, les bras chargés d'épices, d'herbes aromatiques achetés par sacs entiers pour chaque cuisinière pour mijoter des plats aux arômes profonds. Il s'organise en un assemblage de caravansérails, tels des alvéoles. Le nid d'abeille fourmille une fois passée 17:00, quand les heures les plus chaudes de la journée viennent à s'estomper.

Il y aurait encore beaucoup à raconter sur cette première étape de notre épopée. Le centre de la vieille ville regorge de maisons de riches marchants, lorsque Kashan était une place forte du commerce entre l'Orient et l'Occident. Il y a aussi les bains, dont les toits bulbeux offrent une superbe vue sur la ville. Nous pourrions aussi parler des superbes jardins persans, bercés par le calme des fontaines et des bassins...






La ville est aux portes du désert. L'air est chaud et sec, tout en restant respirable. Ce soir, nous dormirons dans un caravansérail, là où jadis les commerçants de toute l'Asie Centrale faisaient escale...

[Chapitre 7] - Du vent dans les voiles

"C'est bon là?"
"Attention il glisse"
"Et la, ça va?"

Nous portons le voile plus ou moins élégamment. Je dois bien avouer que c'est assez saillant...surtout chez les iraniennes!
Et puis on finit par oublier qu'il est là.


Sur les hauteurs de Kashan, le vent souffle à perdre haleine. Les arbres ploient sous la force du vent. Évidement, le foulard peine à rester en place. Soudain il m'échappe. Mon regard croise celui d'Ali, je suis gênée. "no problem" dit-il. Avec ce vent, difficile de rester tête couverte "no problem" répète-t-il. Nous rions ensemble de notre gaucherie.


Retour a la maison. Massoumeh nous met a l'aise : " ma maison est ta maison, tu es ici chez toi". Elle en dira autant a Justine.
"Ici pas besoin de voile. Easy. No problem". Nous retirons voile, gilet et manches longues. Voilà qui est bien mieux! 
Ghazale, la fille de nos hôtes, porte fièrement un débardeur ample qui laisse apparent une brassière d'adolescente. Les parents nous montrent des photos de leur fille aînée. Osées les photos... Poses lascives et tenues légères. Elle est maquillée comme une voiture volée et coiffée comme une star de cinéma. Le puritanisme de la république islamique est bien loin...

Dans les rues, le foulard se porte en degrés divers. Les musulmanes les plus rigoureuses laissent seulement apercevoir l'ovale de leur visage. A l'autre extrême, on trouve la femme libérée. Celle qui se voile pour répondre aux lois rigides de son pays. Le morceau de tissu tient tout juste sur l'arrière de son chignon, laissant la tête aux trois quarts découverte. Elle porte un maquillage outrancier, comme autant de pieds de nez au régime. Même si le noir domine, les couleurs chatoyantes viennent animer le défilé des têtes couvertes et des manteaux longs.
Une fois a la maison, les couleurs réapparaissent, tout comme les bras nus et sûrement des tenues plus courtes encore que ce que la bienséance nous autorise! Double vie, double jeu. Jeu de rôle. Public contre privé.

Vendredi, fin d'apres midi. Nous sommes assis tous les cinq dans le jardin, assis par terre sur une couverture poussiéreuse. Le thé fumant sort brûlant de la théière oxydée par les flammes. Soudain la porte s'ouvre. Ghazale et sa maman couvrent rapidement leur tête de leur foulard noir. Au moment ou Justine et moi nous apprêtons a en faire autant, Massoumeh nous fait signe de la main et répète a plusieurs reprises "easy, easy". De sa bouche, ça veut dire " tranquille, soyez tranquilles". Alors nous restons tête nue. Une fois le thé avalé, nous quittons le jardin d'Ali. Allez, On met les voiles!


[Chapitre 6] - Brumes du désert

La voiture d'Ali file sur l'autoroute, parfaitement bitumée, qui relie Yazd a Téhéran en passant par Kashan. Les panneaux inscrits en Farsi laissent le voyageur un brin circonspect. La route s'enfonce dans le désert. A gauche, le paysage se fait de plaines immenses. Arides. De rares touffes rases rappellent la rudesse du climat. Bientôt se forment des dunes, gravillonnées. Le sable noir nous évoque le Karakoum, ce désert inondant le Turkménistan.
Lorsque mon regard se porte sur la droite, il rencontre des montagne basses au relief saillant. La végétation semble inexistante. En tout point semblable au Kopet-Dag, massif frontière avec le Turkménistan, la topologie des lieux nous renvoie à des souvenirs familiers. Justine et moi ne pouvons nous empêcher d'évoquer ce passé commun, déjà lointain. Pourtant si proche.

Massoumeh se tourne vers nous. "Secret. In the desert : nuclear factory bomb. Finish". Nous approchons de Natanz, site d'enrichissement nucléaire. Photos interdites. Arrêt prohibé. Survol aérien proscrit. Emprisonnement immédiat pour espionnage. Le site est gardé et barricadé. Des tours de contrôle font converger leurs jumelles pour s'assurer que rien ne leur échappe. Tout autour de nous, des canons probablement armés s'assurent que le site est en sécurité. Au loin, les sommets enneigés rappellent que l'homme ne s'est pas approprié la nature toute entière.

Nous avons bifurqué depuis quelques kilomètres maintenant. Nous serpentons dans la montagne en direction de Abyaneh.
Le vent soulève le sable et noie les montagnes dans une brume poussiéreuse.



[Chapitre 5] - Voyager autrement

Un voyage en Iran c'est avant tout un voyage vers l'autre. La gentillesse des habitants, leur chaleur et leur bienveillance viennent chambouler bon nombre de nos référentiels.

En cette seule première journée de voyage, nous avions arrêté le temps de pas moins de 7 personnes ou familles.
Ali, cambiste a Téhéran, nous évoque, dans un français impeccable teinté d'accents québécois sa vie parisienne lorsqu'il étudiait aux Arts et Métiers, puis son séjour canadien. Il nous parle des merveilles de Kashan et nous note ses meilleures adresses.
Il y a également le petit groupe d'ado qui arrêta ses palabres pour nous indiquer le chemin, les deux jeunes femmes du métro dont l'une me donnera son superbe Coran en me demandant de méditer sur tout ce que Dieu peut apporter aux Hommes. A peine sortie du métro, notre route croise celle d'un jeune ingénieur en sécurité informatique. Il a étudié a Yazd et a visite son pays sous toutes les coutures. Il nous guide jusqu'à la gare routière. Pendant plus d'une heure, il a arrêté la pendule de sa journée. Nous avons longuement discuté, a l'ombre sur un banc. Il nous a dit a quel point il est important que des gens comme nous aimions son pays, qui souffre d'une telle image en dehors de ses frontières. Après avoir probablement raté un bus ou deux, nous sommes montées a bord. Direction Kashan.

La suite allait s'inscrire dans la famille d'Ali et Massoumeh. Immersion dans une famille iranienne. Se laisser porter par un autre mode de vie, par le rythme de nos hôtes. Accepter de ne pas comprendre, de ne pas se comprendre. Apprendre que le silence n'est pas angoisse, qu'il est normal.

Cette fois, pas de guide de voyage. Pas de Lonely Planet ou du Guide du Routard. Pas de filet auquel se rattacher, pas de carcan qui nous emprisonne dans ses lignes trop bien rédigées. Se laisser porter par les lignes que l'autre veux nous faire suivre. Le tout en toute quiétude. Et lâcher prise. Ne rien planifier, rien réserver. Laisser voguer l'itinéraire en fonction des rencontres et des envies. Flâner et prendre son temps dans les villes que nous explorons. Sans plan. Voyager.

Kashan. Rayé, l'itinéraire imprimé par Justine. Évincée, la ville de Yazd, au profit de quelques jours supplémentaires a Kashan, auprès de Massoumeh et son mari. Nous leur avons remis les clefs de notre séjour dans leur ville. Nous avons évoqué une nuit dans le désert, une visite des jardins, des maisons historiques... Nous les suivons. Et nous verrons.

[Chapitre 4] - Retenant mon souffle

Ultime angoisse. Celle qui me précède depuis deux semaines. Et si les douaniers nous cherchent des noises? S'ils font de l'excès de zele? Si les amours récents de Hollande avec l'ennemi saoudien venaient influencer, subitement, la délivrance des visas aux ressortissants français ?

Nous sortons parmi les premières de l'avion pour éviter de faire la queue au guichet. Il y a 3 personnes devant nous. Partout des affiches précisent qu'une attestation d'assurance est obligatoire. Justine a pris soin d'imprimer la sienne. Sueurs froides. Impossible de remettre la main sur le document. Il est pourtant dans ma boite mail, mais mon téléphone n'a pas chargé toutes les pièces et l'assurance manque a l'appel. Tête de linotte, tu n'aurais pas pu prendre tes précautions avant? Penser au moins aux éléments impératifs? Ma petite Marine, tu débarques en Iran comme tu pars en Suisse, les mains dans les poches. Un jour, ça te jouera des tours. Coup de chaud. Le voile n'aide pas. Respire, tout va bien se passer.

L'agent administratif nous demande nos papiers et nous remet en échange une feuille a remplir. Une feuille pour deux, c'est étrange. On ramène l'ensemble a son collègue a la moustache, au visage jovial. Dix minutes après et de 120€ plus légères, nous récupérons nos passeports, sur lesquels repose le visa : République Islamique d'Iran.
Reste à passer la douane. A grands renfort de sourires et de quelques mots de Farsi, nous obtenons nos tampons. Le douanier se déplie et sort de sa cahute. Il est immense, gigantesque. Il nous demande de le suivre, puis son collègue, vers une petite salle annexe. Ah zut, tout allait si bien... Quel est le problème? Les visas Turkmènes? De souvenirs il n'y a pas de regain de tension au sujet du pétrole en mer Caspienne. Visa Qatari ou Émirati pour Justine? Où en est la diplomatie mondiale? 

Le douanier rallume un ordinateur hors d'âge. Il nous questionne sur le lieu de notre séjour, préoccupé par sa souris qui ne répond pas. Nous comprenons qu'il veut nos empruntes. Nous attendons sue l'informatique obtempère. Il l'éteint puis le rallume. Rien. "Problème" dit-il. Visiblement, ça s'annonce compliqué. Et puis... Rien... Il nous montre la sortie : "Welcome in Iran", sourire aux lèvres.

Voilà donc comment on s'arrange avec la législation. Soit. 

Nous y sommes.

[Chapitre 3] Quelque part entre Paris et Téhéran

Aéroport Charles de Gaulle, Terminal 2. 11h35.
"Allô Justine, c'est quel terminal?"
"Terminal 1, hall 3"
"M*****. Je me suis trompée de terminal"
"Pense a me faire penser a retirer de l'argent"

Je suis juste juste côté horaire. Je prends le RER dans le bon sens. Depuis 4 jours je cours après le temps, maintenant après l'avion. J'ai enchaîné des journées interminables, amorcées avant 7:30, poursuivies jusqu'à tard dans la nuit pour boucler les dossiers et partir l'esprit léger.

Le matin même, j'ai enchaîné successivement la visite de l'agence immobilière pour l'appartement que je vais quitter, un point téléphonique avec ma responsable, un coup de fil a ma maman pour prendre des nouvelles et rassurer des parents qui font mine d'être sereins et enfin une synthèse avec mon équipe. D'escalator en tourniquet, de débriefing en consignes pour la semaine, j'arrive auprès de Justine, ma comparse d'aventure.
J'éteins mon téléphone. Je souffle enfin. Vérification des formalités de visa. Enregistrement des bagages, salle d'embarquement.

De l'argent! Il faut qu'on retire de l'argent. Et zut, les distributeurs sont avant les douanes. C'est fichu, plus le temps de faire demi-tour. Avec ces maudits plafonds bancaires, nous n'avons pu retirer que 500 euros chacune. A Istanbul on ne pourra guère faire mieux. Alors nous voilà lancées avec exactement 1090€ pour deux semaines, a deux... Sans possibilité de retrait, le système bancaire iranien étant incompatible avec le système international...

13:30 - Décollage imminent. Vol TK098, Turkish Airlines.
Justine renoue avec ses meilleurs souvenirs du TKM (Turkménistan). De mon côté j'ai une pensée pour mes camarades d'Istanbul. Cette ligne est indéniablement celle que nous avons le plus souvent empruntée, pour rejoindre la lointaine Ashgabat.
Le ronron des moteurs se met en marche. Un bruit de vieille carcasse grippée,un sifflement continue. L'appareil est bruyant, ronflant. Il se met en ligne pour le départ. Impossible de se souvenir si les consignes de sécurité ont été présentées. Enfin, l'avion s'élance. Dans un effort presque outrancier, il peine a décoller. On se croirait dans une vieille R5 montant une côte. Le bruit cesse, puis repart. On peine a pendre de l'altitude. Enfin on y parvient et on se stabilise. Le vol semble maintenant prendre un rythme de croisière. A priori tout va bien...

16:40, a l'approche d'Istanbul
"Où allez vous?"
"Téhéran, et vous?"
"Géorgie, mais je connais bien l'Iran, j'y ai vécu 8 ans"
Silence.
"Vous y étiez pour affaires?"
" Ma femme est iranienne, elle m'a interdit d'y remettre les pieds. On a quitté le pays il y 30 ans" [3 ans après la révolution qui a porté au pouvoir la République Islamique d'Iran]
"Pour quelles raisons?"
"Celles qui peuvent pousser une femme a haïr cet infâme pays." Silence. "Ça pays est autodestructeur". Silence. " Raffinement et extrême cruauté ".
Ancien consultant chez MacKinsey, ce monsieur a probablement eu une carrière incroyable. Il a créé des boites qui sont devenues des multinationales, acheté des entreprises décadentes puis revendu celles ci devenues florissantes. Il a encore quelques clients iraniens, loue des espaces a Carrefour pour installer ses enseignes. Il nous raconte des morceaux de son parcours. Il porte sur le monde qui l'entoure le regard de celui qui ne ressent rien, celui qui a vu beaucoup et s'en est blasé.
Istanbul, nous le quittons. 

Quelque part entre Istanbul et Téhéran, mercredi 6 mai 21:20
Alors que les minutes s'égrainent, l'appareil qui nous transporte nous rapproche peu a peu de notre destination. Iran. Nous y sommes. Presque.
Comme à chaque voyage se mêlent des sentiments contrastés. Excitation teintée d'angoisse face a l'inconnu. Cette fois, ma curiosité insatiable se révèle plus aiguisée que jamais. Je vais enfin fouler cette terre riche d'une histoire plusieurs fois millénaires.
L'avion touche le sol. C'est le moment de couvrir nos têtes de ce voile qui ne devrait plus nous quitter en public pour les 13 prochains jours.

[Chapitre 2] "Et tu pars où en vacances?"

Oh cette drôle de question... Et quelles surprenantes réactions ! 

Petit florilège de ce qui vous est passé par la tête lorsque j'ai évoqué cette idée un peu folle d'aller séjourner loin des sentiers battus, là où la chaleur des habitants dépasse les conflits diplomatiques.

  1. La surprise : "ah bon?". Et puis la conversation s'arrête la, comme si l'idée en elle même était irréelle.
  2. L'incompréhension : mais que va-t-elle faire la bas? " on t'a forcé? ", " les billets étaient soldés? "
  3. La curiosité : pourquoi? Que va-t-elle y faire ? Qu'y a-t-il a y voir?
  4. Le réprobateur : "alors ça ma petite Marine, tu cours vraiment après les ennuis". "Tu ne peux pas passer tes vacances dans un pays stable et tranquille pour une fois?" "Tu vais soutenir le fondamentalisme religieux et la haine contre les peuples?" "Enfin, s'il t'arrive quelque chose tu ne t'en prendras qu'a toi. "
  5. L'inquiétude : "mais c'est sur, vraiment c'est pas dangereux? Tu t'es bien renseignée?" "Tu feras attention quand même?". Quant aux collègues "Le projet n'est pas fini, nous on a besoin de toi" (réplique d'un administratif Veolia avec qui j'ai travaillé)
  6. Le résigné : "encore une lubie, ça va lui passer". "Que voulez vous, c'est du Marine tout craché". "Oulala, c'est pas sa première idée du genre. De toute façon, c'est déjà décidé,quand elle a une idée derrière la tête..." "C'est vrai que tu aimes bien ces destinations la..."
  7. Celui qui connait : "quelle chance tu as, j'en rêve". Il y a alors deux cas de figure, ceux qui y sont allés et qui ramassent leurs souvenirs pour les partager. Souvenirs d'avant la Révolution, quand l'Iran et était un pays politiquement fréquentable, contemporains, d'expatriés ou de globetrotteurs. Et puis il y a ceux qui aimeraient y aller mais qui n'osent pas... Ceux la ont lu des ouvrages, des revues, ont regardé au moins deux fois des Racines et des Ailes et ont feuilleté l'histoire d'Alexandre le Grand pour s'endormir le soir, des rêves plein la tête...
  8. Le second degré : "bon, évite de te faire tirer le portrait pour le 20:00", "on surveillera les infos", "investigue pour le nucléaire il y a un marché a prendre..."
Avant que l'avion ne touche le sol iranien, je me suis reposé cette question. Sourire aux lèvres, je me suis dis que je n'avais envie d'être nulle part ailleurs pour ces congés de mai 2015... Un jour, j'irai peut être en Espagne... Un jour...

[Chapitre 1] Angoisse montante

J-10, samedi 25 avril.

Cette fois ça y est, on touche au but. Plus qu'une poignée de jours avant de fouler cette terre chargée d'Histoire autant que d'histoires.

Rarement voyage a été aussi peu préparé. Soudain je m’inquiète de ce pari audacieux : opter pour le visa "On Arrival". Et si ça ne fonctionnait pas? Si les agents de la Turkish Airlines refusaient de nous faire monter dans l'appareil?
"Pas de raison", me dis-je en moi-même. Les forums sont unanimes. Tout va bien se passer. De toute façon, il est maintenant trop tard pour contre-braquer...

Mes idées s'embrument, je ne distingue plus le réel de la fiction.
23:17, il est temps de laisser place aux  songes...

[Chapitre 0] Au pays des pistaches, des caravansérails, du Shah et des Mollah

Les carnets de voyage de la petite Marine reprennent du service. Pour cette nouvelle vadrouille, je vous emmène loin, très loin, des sentiers battus. Je vous propose une aventure humaine et culturelle qui défie tout ce qu'on imagine. 
  • Destination : Iran
  • Durée : 13 jours
  • Partenaire : Justine
  • Mots clef: hospitalité, céramiques, safran



Les chapitres qui vont suivre ont été rédigés au fil du voyage. Compte tenu des restrictions à la liberté d'expression qui persistent dans ce pays, et pour ne pas risquer de situation compromettante, j'attendais mon retour pour vous en faire profiter.

Je vous souhaite une bonne lecture.
Bon voyage,