jeudi 28 mai 2015

[Chapitre 3] Quelque part entre Paris et Téhéran

Aéroport Charles de Gaulle, Terminal 2. 11h35.
"Allô Justine, c'est quel terminal?"
"Terminal 1, hall 3"
"M*****. Je me suis trompée de terminal"
"Pense a me faire penser a retirer de l'argent"

Je suis juste juste côté horaire. Je prends le RER dans le bon sens. Depuis 4 jours je cours après le temps, maintenant après l'avion. J'ai enchaîné des journées interminables, amorcées avant 7:30, poursuivies jusqu'à tard dans la nuit pour boucler les dossiers et partir l'esprit léger.

Le matin même, j'ai enchaîné successivement la visite de l'agence immobilière pour l'appartement que je vais quitter, un point téléphonique avec ma responsable, un coup de fil a ma maman pour prendre des nouvelles et rassurer des parents qui font mine d'être sereins et enfin une synthèse avec mon équipe. D'escalator en tourniquet, de débriefing en consignes pour la semaine, j'arrive auprès de Justine, ma comparse d'aventure.
J'éteins mon téléphone. Je souffle enfin. Vérification des formalités de visa. Enregistrement des bagages, salle d'embarquement.

De l'argent! Il faut qu'on retire de l'argent. Et zut, les distributeurs sont avant les douanes. C'est fichu, plus le temps de faire demi-tour. Avec ces maudits plafonds bancaires, nous n'avons pu retirer que 500 euros chacune. A Istanbul on ne pourra guère faire mieux. Alors nous voilà lancées avec exactement 1090€ pour deux semaines, a deux... Sans possibilité de retrait, le système bancaire iranien étant incompatible avec le système international...

13:30 - Décollage imminent. Vol TK098, Turkish Airlines.
Justine renoue avec ses meilleurs souvenirs du TKM (Turkménistan). De mon côté j'ai une pensée pour mes camarades d'Istanbul. Cette ligne est indéniablement celle que nous avons le plus souvent empruntée, pour rejoindre la lointaine Ashgabat.
Le ronron des moteurs se met en marche. Un bruit de vieille carcasse grippée,un sifflement continue. L'appareil est bruyant, ronflant. Il se met en ligne pour le départ. Impossible de se souvenir si les consignes de sécurité ont été présentées. Enfin, l'avion s'élance. Dans un effort presque outrancier, il peine a décoller. On se croirait dans une vieille R5 montant une côte. Le bruit cesse, puis repart. On peine a pendre de l'altitude. Enfin on y parvient et on se stabilise. Le vol semble maintenant prendre un rythme de croisière. A priori tout va bien...

16:40, a l'approche d'Istanbul
"Où allez vous?"
"Téhéran, et vous?"
"Géorgie, mais je connais bien l'Iran, j'y ai vécu 8 ans"
Silence.
"Vous y étiez pour affaires?"
" Ma femme est iranienne, elle m'a interdit d'y remettre les pieds. On a quitté le pays il y 30 ans" [3 ans après la révolution qui a porté au pouvoir la République Islamique d'Iran]
"Pour quelles raisons?"
"Celles qui peuvent pousser une femme a haïr cet infâme pays." Silence. "Ça pays est autodestructeur". Silence. " Raffinement et extrême cruauté ".
Ancien consultant chez MacKinsey, ce monsieur a probablement eu une carrière incroyable. Il a créé des boites qui sont devenues des multinationales, acheté des entreprises décadentes puis revendu celles ci devenues florissantes. Il a encore quelques clients iraniens, loue des espaces a Carrefour pour installer ses enseignes. Il nous raconte des morceaux de son parcours. Il porte sur le monde qui l'entoure le regard de celui qui ne ressent rien, celui qui a vu beaucoup et s'en est blasé.
Istanbul, nous le quittons. 

Quelque part entre Istanbul et Téhéran, mercredi 6 mai 21:20
Alors que les minutes s'égrainent, l'appareil qui nous transporte nous rapproche peu a peu de notre destination. Iran. Nous y sommes. Presque.
Comme à chaque voyage se mêlent des sentiments contrastés. Excitation teintée d'angoisse face a l'inconnu. Cette fois, ma curiosité insatiable se révèle plus aiguisée que jamais. Je vais enfin fouler cette terre riche d'une histoire plusieurs fois millénaires.
L'avion touche le sol. C'est le moment de couvrir nos têtes de ce voile qui ne devrait plus nous quitter en public pour les 13 prochains jours.

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