"C'est l'histoire d'un mollah qui suit un bus de militaires iraniens. Les jeunes soldats dansent et chantent, en direction du front irakien. Soudain la voiture du mollah double le bus. Les soldats changent de registre : chants religieux et larmes d'opérette. Quand le mollah les dépasse, les soldats recommencent a chanter et a s'amuser!".
Rires.
Rires.
"On raconte beaucoup de blagues sur les mollah" nous souffle Monsieur I*. dans un soupire rieur .
Nous profitons des premières heures de la nuit sur un tapchak, sorte de plateforme en bois couverte de tapis. Assis en tailleur ou jambes tendues, nous sirotons le verre de thé préparé par Massoumeh.
Plus tôt dans la soirée, nous avons déposé nos bagages, vivres et couvertures dans le "connexe", comprenez l'un des hebergements annexes au caravansérail. Ce dernier a été entièrement réservé par un groupe de retraités iraniens originaires de Téhéran. Malgré le confort spartiate du bungalow dans lequel nous allons passer la nuit, la soirée allait s'inscrire comme l'une des plus marquantes qui nous soit donnée de vivre.
Étrange atmosphère. Nous prenons nos marques. Regards croisés avec Justine : il n'y a que des hommes. Massoumeh me fait remarquer qu'il me faut remettre mon gilet. Les hommes d'ici ne sont pas habitués a tant de frivolité. Il faut dire que mon chemisier descend tout juste en dessous de mes fesses! Après une rapide visite du caravansérail, il est l'heure de dîner.
Alors que nous fumions lentement le Narguilé apporté par Ali, un homme aux cheveux blancs et a la moustache est venu échanger avec nous, dans un anglais impeccable. Il était heureux d'échapper à son groupe d'anciens combattants, qui n'avaient guère de conversation et priaient du soir au matin.
Nasser I. nous raconte qu'il est un ancien pilote de ligne. Au fil de la conversation, nous apprendrons qu'il a été l'un des héros de la guerre Iran-Irak, reconnu pour des faits d'armes dans des batailles décisives. Nous comprendrons également qu'il est interdit de quitter le territoire. Sûrement pour des propos trop peu policés et une libre pensée incompatible avec le courant majoritaire.
Monsieur I. est un homme plein d'entrain et de bonne humeur. Il est bientôt rejoint par deux jeunes, les photographes du groupe. L'un d'eux sort une vidéo. C'est le shah d'Iran, avant la révolution. Avant la république islamique " Avant on était libre" dit-il. "Les mollah ont apporté la tristesse et la haine. Ce n'est pas ce que Dieu veut. Qui peut interdire les homme d'être heureux? De chanter?". Monsieur I aime chanter, en français, en farsi ou en anglais.
" When I was a little girl,
I asked my mother, what I will be
Will I be pretty, will I be rich
Here's what she said to me...",commence-t-il a entonner, d'abord a demi-voix.
Nos compagnons de tablée viennent l'accompagner en claquant des doigts. Derrière nous, à peut être cent mètres, un homme gros et gras fait les cents pas "he is a Mollah" nous glisse-t-il. Et alors, comme un pied de nez au regime, comme pour se prouver qu'on existe malgré ce pouvoir oppressant, Nasser élevé la voix, chante plus fort. Il flotte comme un air de liberté dans le désert de Maranjab, en ce dimanche de mai.
Les visages se tendent, les rires cessent. Un homme d'une trentaine d'années, chemise à haut col blanc et à la barbe bien taillée s'est invité à notre table. C'est un mollah. Il est accompagné de jeunes hommes, la vingtaine a peine, qui le suivent comme son ombre. Ce sont des gardiens de la révolution.
Sans même nous décrocher un regard, le mollah bombarde Massoumeh de questions à notre sujet. Le climat a changé, chaque mot semble pesé. Bien que nous ne comprenions pas tout, loin de là, notre présence intrigue et semble en contradiction avec les référentiels de ces hommes de pouvoir, de terreur.
Monsieur I. continue de converser avec nous, en anglais. Il nous assure que ces hommes ne sont pas représentatifs du peuple iranien. Ce dernier a été conquis par les musulmans, mais gardent en eux les valeurs du zoroastrisme : avoir le coeur pur, l'esprit honnête et le parler franc.
Sans même nous décrocher un regard, le mollah bombarde Massoumeh de questions à notre sujet. Le climat a changé, chaque mot semble pesé. Bien que nous ne comprenions pas tout, loin de là, notre présence intrigue et semble en contradiction avec les référentiels de ces hommes de pouvoir, de terreur.
Monsieur I. continue de converser avec nous, en anglais. Il nous assure que ces hommes ne sont pas représentatifs du peuple iranien. Ce dernier a été conquis par les musulmans, mais gardent en eux les valeurs du zoroastrisme : avoir le coeur pur, l'esprit honnête et le parler franc.
Derrière le Mollah, ses deux sbires s'attachent a nous photographier, Justine et moi, en douce derrière leur smartphone. Et Allah dans tout ça?
Le type libidineux finit par nous rejoindre. Il interroge sur notre religion. Massoumeh explique que nous sommes catholiques. Les visages se figent.
Nous n'aurons malheureusement pas la traduction de l'intégralité de la conversation. Elle était sûrement d'un vif intérêt...
Une fois les mollah partis, nous avons conversé avec Monsieur I. jusque tard dans la nuit. De la guerre Iran-Irak, ce conflit fratricide qui arrangeait bien l'Occident, de ses études aux états unis, de ses conquêtes, de sa femmes avec qui il ne partage plus rien et dont il va divorcer, de l'Iran et de ses merveilles.
"Vous êtes deux adorables jeunes femmes. Si vous n'étiez pas si jeune et moi si vieux, je vous prendrais comme fiancées". En me regardant : "Allez, emmène-moi avec toi, on se marie - Je ne suis pas si vieux. Seuls mes cheveux sont blancs, tout le reste est très jeune - Mon dieu, si ma femme entendait ça!". Rires.
"Vous êtes deux adorables jeunes femmes. Si vous n'étiez pas si jeune et moi si vieux, je vous prendrais comme fiancées". En me regardant : "Allez, emmène-moi avec toi, on se marie - Je ne suis pas si vieux. Seuls mes cheveux sont blancs, tout le reste est très jeune - Mon dieu, si ma femme entendait ça!". Rires.
Ainsi s'est achevée cette soirée mémorable, quelque part dans le désert de Maranjab, au pied d'un caravansérail que tant d'hommes ont fréquenté. Loin, très loin, de notre monde connu.
Le lendemain dans la voiture, alors que nous quittons cette parenthèse intemporelle, Massoumeh se tourne vers nous : "About yesterday. Forbiden you to speak. Secret."
Il résonne encore dans ma tête cet air de liberté: "When I was juste a little girl..."
* Monsieur I : Monsieur Nasser Izadi. Compte tenu de la teneur des propos de cet article, j'ai volontairement flouté le nom de notre interlocuteur le temps de notre voyage.
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