Certains comptent... Je m'étais promis de ne pas tomber dans
ce cercle d'illusionnistes, de calculateurs... Et puis j'ai glissé, sans même
m'efforcer de résister. J'ai succombé à la curiosité de placer, sur une
feuille, la liste des pays visités. J'ai même fixé un objectif, avant mes
trente ans... À quoi bon? Autosatisfaction? Orgueil? Curiosité? J'ose espérer
ne pas tomber dans ces travers. Pour les raisons contraires, j'en tairai la
valeur. Et puis qu'elle signification pourrait on seulement en donner?
À la question "Tu as fait l'Afrique ?", je
bouillonne.
" Faire" un pays, est-ce seulement possible? On ne
"fait" pas un pays, au moins peut-on le pénétrer, au plus peut-on le
vivre, le sentir vibrer en soi. En général on se contente de le visiter, ce qui
n'est pas une mince affaire. Reste le rythme qu'on souhaite lui donner : à la
japonaise, pour parcourir en 6 jours les merveilles de l'Europe? Ou au rythme
lent de celui qui découvre? J'espère, un jour, pouvoir sillonner, sans
contrainte de temps, une région, un pays, un continent, et enfin sentir l'âme
de celui qui voyage.
En cette soirée de digestion, après l'orgie de moutons de la
Tabaski, j'ai l'âme vagabonde et le coeur à la plume. Je retrospecte, je
rétropédale, je jette un oeil par le rétroviseur des escapades passées...
Mon plus beau coucher
de soleil? C'était sûrement en Bretagne, là où enfants, nous passions les
vacances en famille. Ces crépuscules où nous courrions après le soleil,
emmitouflés dans un pull-over pour résister aux embruns. C'était en famille, à
respirer l'air iodé.
Le morceau de musique
qui raisonne encore en moi? "Californication"
des Red Hot Chilly Pepers. À chaque passage, je revois le désert du
Karakoum se dessiner sous mes yeux. La liberté de circuler dans l'immensité du
désert turkmène. Chassés, les souvenirs ternes. Cette musique me ramène les plus
vivaces.
Le paysage le plus
fantasmagorique ? L'arrivée sur les Cameron Islands, en Malaisie, à l'heure
où le jour n'a pas encore chassé la nuit. Lorsque les figures sombres des
montagnes commencent à se dessiner dans la nuit qui s'estompe.
Le plus beau trajet en
train? Entre Sofia et Bucarest, dans un vieux wagon sovieto-chic. Le
samovar brûlant siffle encore dans mes songes.
L'épisode le plus
périlleux? Le trajet en bateau pour rejoindre le parc National de Tayrona,
en Colombie, dans une mer déchaînée. La
hauteur des vagues, le claquement de la coque venant s'écraser lourdement sur
les vagues, la brûlure sur ma main qui se retient coûte que coûte à un
malheureux morceau de corde. Dans la brume de mes cauchemars, je distingue
l'image de nos corps retrouvés, quelques jours plus tard, échoués sur la
côté....
Les couleurs les plus
vives? Le défilé des saris flamboyants au lève du soleil, sur le marbre
blanc du Taj Mahal.
Le meilleur souvenir
culinaire? Les momos tibétains, dans un village de réfugiés, quelque part
aux confins de l'Himalaya. Je pense aussi aux reines-claudes, chauffées par un
bel après-midi d'été. C'était au fond du jardin de mes grands-parents, derrière
un tas de pierres.
Le monument qui m'a le
plus marqué? La cité de Boukhara, en Ouzbékistan, à l'heure où les rayons
du soleil viennent caresser les murs jaunes et les céramiques turquoises, quand
les coupoles rappellent la grandeur du passé. Retour éphémère sur les Routes de
la Soie.
La plus belle
rencontre? Monsieur Izadi, un soir dans le désert de Maroumba (Iran), héros
de la Guerre Iran Irak et fervent opposant au régime. Nous y avons vécu une des
nuits les plus marquantes qui nous soit donnée de vivre.
Ma pire nuit?
Celle où j'ai cru attraper le Choléra, du côté de Jodhpur, en Inde. Lorsque les
films historiques et les récits d'un autre temps laissaient imaginer une issue
fatale... J'en connais une qui sourira en lisant ces lignes (pour ma comparse
de voyage)
Le moment de perdition
que je préfère? Errer sans but dans les ruelles des bazars d'Istanbul, pour
finir immanquablement par un bol de soupe aux lentilles.
Le fleuve qui m'anime
aujourd'hui encore? L'Amou Daria, frontière de l'ancien Turkestan Oriental.
Traversé par Alexandre le Grand en des temps depuis longtemps révolus, je me
revois dans un taxi soviétique traverser un pont fait de flotteurs liés les uns
aux autres.
Les villes qui
raisonnent dans ma tête : Tombouctou, Oulan Bator, Chandernagor, Nazca, ...
Parce que le monde sera toujours trop vaste et le temps trop
court...
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