Ferme les yeux.
Laisse toi porter, tu verras c'est facile. Met du relief sur
mes mots, et dessinons ensemble treize heures de route à travers le sud-est du
Kazakhstan. N'ai pas peur, la route est belle et les paysages variés.
D'abord la ville. Almaty. Il est à peine six heures, le jour
est déjà levé. Les sommets enneigés sont bien dégagés, il n'y a pas encore de
circulation. La ville est calme, comme toute cité qui dort encore. Le mini-van
dévale la rue principale puis quitte tranquillement les faubourgs.
Ensuite, la steppe. L'immensité rase. Les espaces sans fin,
à perte de vue. L'herbe est sèche et grillée. Nous avalons les kilomètres,
longeons les contreforts d'un massif montagneux somme toute assez bas.
Direction plein est. Au bout de la route, la Chine. Une nouvelle frontière à
portée de main.
Une piste caillouteuse apparaît sur la gauche. Nous quittons
le grand axe pour pénétrer dans la steppe. Des chevaux bruns et noirs, ainsi
que leurs poulains, s'abreuvent autour d'une flaque. Ils ont l'air si paisible.
Une faille déchire la platitude. C'est le canyon creusé par
la rivière Charyn dans les roches rouges. Le relief est profond, torturé,
sculpté par des millénaires de pluie, de vent, de neige. Le van descend dans la
gorge escarpée, s'insinue dans la veine tracée par la nature.
Lève la tête un instant, regarde ce rocher qui semble
suspendu à l'éternité. Un souffle de vent suffirait-il à le faire dévaler la
falaise?
Ici un ours, là un visage. La "vallée des
châteaux" laisse le visiteur rêveur. On pourrait se croire dans le désert
du Névada. Sauf qu'ici nous sommes presque seuls. Le canyon nous appartient,
furtivement.
Voilà déjà l'heure de remonter la faille géologique pour
s'enfoncer dans la montagne. Un lac artificiel, dont la couleur se confond
successivement avec le bleu du ciel et le gris des montagnes, est entouré de
crêtes sèches.
Une mauvaise piste serpente dans la montagne. Les roches
sont nues, recouvertes peu à peu d'une couche d'herbe verte. Imagine, plus
d'une heure à hoqueter sur un chemin de terre rouge bosselé et déformé par le
ravinement des pluies. La température s'abaisse. Nous atteignons
péniblement le col. Il fait frais. Au
loin la steppe pourrait passer pour l'océan, tant est la plate. Les premiers
arbres apparaissent enfin. Il n'y a toujours pas un carré d'ombre.
La descente est aussi chaotique que la montée. La voiture
slalome entre les aspérités de la piste. Enfin nous atteignons la rivière. Un
cours d'eau vif bordé d'arbres.
Nous continuons à grimper, lancés sur des chemins de terre
malmenés par les éléments. De l'autre côté des montagnes, Karakol
(Kirghizistan). Tout proche.
Encore une heure de route. Nous atteignons un vaste plateau
d'altitude, du nom de Aci. Regarde autour de toi, ici habitent des bergers
nomades. Des yourtes émaillent le paysage. Les troupeaux paissent paisiblement.
Chebaux, moutons, vaches. Une rivière et ses ramifications marbrent le paysage,
tels un delta d'altitude. Des veaux nouveaux nés arborent un pelage encore
frisé. De petits moutons tètent leur mère. Nous ne faisons que passer. Ils
semblent immuables, dans ce paysage intemporel. Soudain un gamin d'à peine10
ans, fier sur son cheval, apparaît. Il paraît fendre l'infini des pâturages. A l'arrière-plan, des colonies de sapins longilignes s'alignent comme des
cure-dents.
Il faut maintenant descendre du plateau, par une route qui
n'en finit pas. Elle s'accroche à un torrent et le suit jusque dans la vallée.
Des véhicules nous devancent, ce sont les premiers que nous croisons depuis
près de 8 heures.
Voilà près de treize heure que nous parcourons les reliefs
du sud est du Kazakhstan. Toi qui nous suit, imagine que tu as les cheveux
collants de poussière, les paupières lourdes de fatigue et le dos tassé d'avoir
tant été secoué.
Nous retrouvons les axes bitumés, pollués. Nous allons vers
le sud, vers Almaty. Sur la gauche, les monts célestes. Encore eux. Des sommets
à plus de 4000mètres. Un dernier coup d'œil.
Demain, nous nous réveillerons dans les steppes de la faim,
au sud du pays.
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