jeudi 18 août 2016

[Chapitres 5] Kyzart pass (3550m)

Notre aventure nomade à Song Kol prend fin. Nous plions nos couchages, équilibrons les sacs à dos. Nous saluons la famille kirghize qui nous a chaleureusement accueillies au sein de son campement.
 Nous avons 6 heures de marche pour atteindre le village de Kyzart, dans la vallée. Nous nous mettons en marche.
 
L'ascension vers le col est longue et continue. À trois mille mètres d'altitude, nous avons le souffle court et l'effort est d'autant plus pesant que nous prenons de la hauteur. Le ciel est gris et le sommet est dans la brume. "Je me demande bien ce qui va nous tomber sur le coin du nez". Je m'interroge. Nous le saurons bien assez vite...
 
Nous suivons au loin les silhouettes de deux françaises rencontrées quelques jours plus tôt. Elles nous permettent d'identifier le chemin. Pour cette seconde journée de marche, nous sommes sans guide.
 
La température s'abaisse. La pluie s'invite à nos côtés. De plus en plus vive. Le vent froid nous fouette le visage. Désormais la grêle nous attaque de face. Le froid nous gèle les mains, nous regrettons d'avoir oublié nos gants. La pluie s'accentue encore. Le chemin ravine. Au bout de deux heures d'effort, nous atteignons le col de Kyzart, à 3550 mètres d'altitude. Nos peines sont pourtant loin d'être terminées.
 
Nous amorçons la descente.  Le chemin est détrempé, glissant et raide. Le village est à 1800 mètres d'altitude. Il nous faudra donc perdre 1700m d'altitude en 4 heures. Nous cherchons nos appuis, marchons en dehors des sentiers qui sont totalement impraticables. Soudain, je chute. Justine me retient de peu. C'est la première glissade, avant une longue série. La pluie continue à nous fouetter, froide et piquante. Nous sommes trempées. Le temps ne semble pas décidé à s'améliorer.
 
Les heures se succèdent. Nous arrivons enfin au village. Cependant, nous ne savons pas comment retrouver l'adresse à laquelle doit venir nous chercher un taxi. Les rues en terre battue sont criblées de nids de poules et ponctuées de flaques. La rivière déborde aisément de son lit.
 
Nous sommes fatiguées, trempées et rêvons d'une douche bien chaude. Je me hasarde à pousser la porte d'une ferme pour demander le chemin. Sur le perron, je tombe nez à nez avec une grand-mère toute en rondeurs  qui semble tuer le temps le regard dans le vide. Je mobilise mes quelques mots de russe et l'énergie qu'il me reste pour la questionner. Elle ne comprend pas, moi non plus. Nous rions. Elle m'attrape la main et m'embarque à l'intérieur. J'ai à peine le temps d'appeler Justine et d'ôter mes chaussures. Nous voilà toutes les deux dans la pièce principale, autour d'une table basse recouverte d'une toile cirée poisseuse. La babouchka (grand-mère) nous invite à prendre place autour de la table, sur des tapis poussiéreux et sales. Une vieille télé en noir et blanc passe un film muet. 
 - ... Khalodna?! ... Tchai ... !
 (Tu as froid, il faut boire du thé!)
 
Elle nous offre également de la confiture de cassis, du sucre et du beurre rance. L'ensemble est d'une hygiène douteuse. Le fils et son épouse se joignent à nous, prennent le papier avec l'adresse, discutent et nous annoncent qu'ils connaissent le lieu et nous y conduiront en voiture.
La bru passe de l'eau chaude dans les tasses pour les rincer, et nous sert... du thé au lait! Justine esquive tant qu'elle peut, tant elle n'aime pas le thé au lait et  qu'elle s'efforce d'oublier la propreté approximative de la pièce. Cette fois je me dévoue. Je noie le thé de sucre. J'arrive à éviter le beurre rance, j'en suis fort aise.
 Le bol avalé, je dois luter pour esquiver un autre thé. Mon bol me file entre les mains. La bru a apporté un bidon de 5l plein d'un liquide blanc.
- Chto éta?
 (Qu'est ce que c'est?)
 - .... Koumous!
 (Le lait de jument fermenté)
 
Je fais un bond. Ah non, pas ça!!! D'une part c'est immonde au goût, mais en plus c'est une attaque sans sommation pour mon fragile estomac
- Ia nié piou Koumous! Ia nié magou
 (Je ne bois pas de Koumous, je n'aime pas ca)
 
La grand-mère m'ordonne de le boire. Elle monte le ton. Je réponds, en français, aussi vivement. Nous finissons dans de grands éclats de rire et nous nous serrons les mains. Elle reprend mon bol. Ouf, j'ai échappé au Koumous pour cette fois!
 
Nous mettons fin à cette incroyable parenthèse. La voiture ronronne dans la cour. C'est une vieille Lada rouge hors d'âge, qui démarre par la grâce de dieu. Elle peine à nous conduire à bon port.  Nous voilà donc au bout de notre première épopée kirghize. Nous remercions chaleureusement nos hôtes d'un instant.
 
Une heure et demie de route plus tard, nous revenons à Kochkor. Nous savourons la douche tant attendue. Nous enfilons des vêtements secs et propres. C'est un peu un retour dans notre confort, qui ferme la parenthèse nomade au lac Song Kol.

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