jeudi 18 août 2016

[Chapitre 13] Miss pète-couilles, la vieille peau et les autres: chronique d'un passage frontière

Les voyages sont souvent faits de belles rencontres, et puis il y a des jours où on a l'impression de rencontrer le gratin des crétins. Portraits croisés d'une épopée sur les routes d'Asie centrale, direction le Kazakhstan.
 
Vendredi 5 août, 6:30. Nous ouvrons l'œil avant le réveil. Une longue journée nous attend entre Och, au sud du Kirghizistan, et Almaty au Kazakhstan.
Taxi jusqu'à l'aéroport d’Och, contrôle des bagages. Il est 7:30, notre avion décolle dans une heure et demi. Les familles se pressent dans la salle d'embarquement. Les jeunes parents tiennent la main de leurs enfants, de 4 ans tout au plus. Nous supposons la mise en place d'une politique nataliste par le gouvernement dans les années 2012, tant le nombre de jeunes enfants est important.
Au fond de la salle, une jeune femme dénote dans le paysage ethnique. Elle est brune mais ses profonds yeux verts attirent immanquablement le regard. Du sang afghan coule certainement dans ses veines.
 
Nous embarquons enfin, les paupières lourdes. Alors qu'à l'aller nous avions traversé le pays du nord au sud en bus, nous le survolerons dans l'autre sens. Les montagnes que nous avons gravies, les vallées que nous avons traversées près en douze heures quelques jours plus tôt seront avalées en trente-cinq minutes d'avion. Places 16A et 16B, pas de chance, nous sommes sur les ailes de l'appareil. On risque de ne pas voir grand-chose des sommets enneigés.
Au niveau de nos sièges, nous retrouvons la belle afghane et sa petite fille, confortablement installées au niveau du hublot.
Justine : "Excusez-moi, c'est ma place"
Pas un mot, à peine un regard.
 
Bon... De toute façon on est au niveau des ailes, on ne verra pas grand-chose. Et puis on ne va pas batailler pour une demi-heure de vol.
Sauf que "Miss Pète-Couilles" est non seulement pas souriante, mais elle est capricieuse et envahissante. Et puis cette manie de faire des selfies en tirant une tronche de dix pieds de long, quel intérêt?? Une vraie gamine pourrie gâtée, qui gesticule et assène Justine de coups de coude. Désolée mademoiselle, mais les beaux yeux ca ne suffit pas!
Justine est à deux doigts de lui tordre le coup. Les sommets se déroulent sous l'appareil, c'est sûrement très joli tout cela...
 
Arrivée à Bishkek, taxi jusqu'à la gare routière de l'Ouest, une espèce d'immense zone désordonnée où il nous faut trouver une marchroutka à destination d'Alma-Ata (Almaty), Kazakhstan. Après avoir tournée dans tous les sens, nous y voilà. Il reste de la place, mais pas pour les bagages. Soit, attendons la suivante. Le chauffeur est adorable, il nous suggère de nous installer et de choisir nos places. Ensuite, il faut attendre. Attendre que les 20 places soient réservées avant de démarrer. Ainsi commence le défilé du genre humain. Une petite vieille vient animer le tableau, avec son museau de fouine et ses petits yeux narquois. La vieille peau veut faire la pluie et le beau temps sur le quai de la gare et dans le bus. La voilà qui s'active à placer, à déplacer, à gouverner. Oh, mais elle est pénible celle-ci, de quoi je me mêle?!
Le bus se remplit. Une jolie petite grand-mère qui pourrait être anglaise, avec sa robe bleue à pois et son petit chapeau, le sosie centre-asiatique de DSK et un monsieur au crâne fripé, tel un sharpei!
 
Midi, on démarre enfin. Il fait un soleil de plomb et une chaleur écrasante.
A peine trois quarts d'heures plus tard, nous voilà à la frontière. On ne va pas être déçues!
 
Il y a quelque chose de fascinant dans la notion même de frontière. Cette démarcation, officielle, qui se veut hermétique, qui contraint les déplacements, exige de les déclarer. Et qui plus que jamais encourage à les contourner, à les violer. L'herbe serait-elle systématiquement plus verte ailleurs? La quête d'un avenir meilleur s'entend pour beaucoup par l'escalade de tous ces obstacles migratoires. Sans assurance de ce qu'il y a de l'autre côté du grillage, parfois (tristement) de l'autre côté du mur.
Alors nous voilà au pied d'un nouveau pays, d'un côté de la rivière Chuy. Dans quelques centaines de mètres, nous passerons en république du Kazakhstan.
 
Purs produits de l'espace Schengen, nous aurions tendance à oublier le salamalèque administratif que constitue un passage de frontière terrestre. Pourtant le rituel est toujours le même, et l'ambiance électrique ne semble guère varier d'un pays à un autre.
 
Descendre du bus et prendre ses bagages.
 
Accéder au poste frontière de sortie du Kirghizistan. Nos passeports passent de mains et en mains jusqu'à ce qu'on les quitte des yeux, le temps d'un tampon dans un bureau spécial. Le douanier nous les rapporte, regarde nos photos :
- Marina? (Il me fait signe de retirer mes lunettes) It looks an other you!
Oui... je ne ressemble pas à mon passeport, mais oui, je vous assure, c'est bien moi. Ça va, ça a l'air de le faire sourire. Ce n'est pas toujours le cas, ça m'a déjà valu quelques petites difficultés. Pas envie de s'y frotter aujourd'hui...  Tout est en ordre.
 
Traverser le no man's Land entre les deux pays. Ici il s'agit de traverser, en plein soleil, le Pont qui enjambe la rivière. D'un côté, les véhicules avancent un par un. Un type est chargé d'arroser la route en terre battue d'un liquide désinfectant. Les piétons s'amassent, que dis-je, se tassent et se bouscule, dans le corridor qui leur est destiné. Les gens semblent perdre tout civisme. Vas que tu me pousses, que tu évinces mon sac, que tu joues des épaules pour gratter dix centimètres que tu perdras dans la foulée. Les gens s'énervent, Justine s'agace. Il fait chaud et les gens sont insupportables.
- P*****! Mais ça sert à rien de pousser! On va tous la passer cette fichue frontière. Regarde, ça ne sert à rien de monter sur Justine. Distance!!
"Distance" est un mot transparent. La vieille bourrique devant comprend, et je me fais maudir alors que Justine se fait rabrouer une nouvelle fois. Il faut dire qu'elle laisse de l'espace avec les gens en face d'elle, fatale erreur...
 
Après 45minutes en plein cagnard, arrive enfin le poste frontière d'entrée au Kazakhstan. Les guichets sont complétement désordonnés, la fourmilière grouille. Les marchands transportent des paquets énormes, qui sont plus larges que les voies à emprunter. C'est la cohue. On se glisse derrière un comptoir. Le douanier à sûrement avalé de travers, il est aimable comme une porte de prison. Une photo par caméra numérique, un tampon et on file! Quelle épreuve...
 
Nous voilà en République du Kazakhstan. Nous changeons 50€ en Tenge, la monnaie locale. Le temps de retrouver tous nos compagnons de route, nous voilà réparties.
 
Treize heures se sont écoulées depuis sue nous avons quitté Och. Nous arrivons à la gare routière d'Almaty. Il est 19h mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous avons l'adresse de notre hostel, reste à trouver un taxi. Pas simple! Ici pas de taxi officiel. Comme au Turkménistan, c'est à mi-chemin entre de l'autostop et du BlablaCar. Par contre il faut savoir expliquer où allez et proposer un prix!
La fatigue aidant, la tâche est ardue. Les voitures que nous arrêtons demandent des informations complémentaires sur l'adresse, d'autres proposent un prix astronomique. On se décide à rentrer dans la gare, chercher du wifi et faire une photo de Google maps. Mais le réseau est saturé. Rien ne fonctionne comme on le souhaite. Dépitées, nous demandons à deux jeunes kazakhes de nous renseigner. Ils sont adorables, appelles l'hostel, demandent l'adresse précise et nous accompagnent jusqu'à l'avenue principale pour expliquer le chemin et négocier pour nous.
- Atkouda?
 (Vous venez d'où?)
- Francia
(De France)
- Francia?... Terrorist attak... Kazakhstan tojé...
(Vous avez eu des attentats en France. Nous aussi... c'est terrible)
Quelques jours avant notre départ, Almaty était touchée à son tour par une attaque, qui visait la police. Le gouvernement a incriminé les milices terroristes. Les critiques internationales étaient plus frileuses, ce pourrait être des soulèvements internes... Nul n'en saura plus pour le moment...
 
La ville est gigantesque, polluée et embouteillée. L'hôtel semble hors de portée. Impossible de se souvenir s'il est bien situé ou non... Le chauffeur se perd, c'est reparti pour une série de feux qui n'en finit pas de passer au rouge.
Enfin nous arrivons. Encore une longue journée à travers l'Asie Centrale.

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