vendredi 18 août 2017

[Chapitre 8] Un dernier coup de pouce?

Si vous aviez vu votre tête, quand on a annoncé qu'on explorerait les pays Baltes en autostop.
- les incrédules : "mais pourquoi ? Je ne comprends pas"
- les matérialistes : " les bus sont si chers que ça ? "
- les anxieux : " c'est dangereux le stop non? Vous n'avez pas peur de tomber sur un fou ? Imagine tous les violeurs et les serrial killers qui trainent de nos jours" (à moi-même : ah bon, tant que cela?)
- les ébahis : "waouh, c'est une idée dingue, j’adore !»
- les résignés : "En même temps, celle-là tu ne nous l'avais pas encore faite. Une idée saugrenue de plus..."
Tout a commencé en juin, avec Aurélie. Nous participons à la MadJacques, une course en autostop au départ de Paris, Lyon et Nantes. 800 participants costumés lancés dans une course de vitesse et de rencontres à destination d'un petit village de la Creuse. La plus grande course en autostop jamais organisée au monde, 500 kilomètres à avaler sur la journée. Une découverte et une révélation pour nous. C'est aussi notre première expérience, avec filet et assistance, car tout est bien organisé ; depuis l'appli de géolocalisation jusqu'aux voitures balais pour les équipes en perdition. Nous arrivons 40ème sur 800, une belle performance.
Comme toutes les premières fois, nous nageons entre découverte et hésitation, une flottaison entre deux eaux qui nous donne le goût de l'aventure. Le pouce s'impatiente, il ne demande qu'à repartir.

Le voyage dans les pays Baltes se précise. Il s'annonce bien sage, peut-être un peu trop. Lorsqu'arrive le sms d'Aurelie "et si on y allait en stop ?", c'est l'étincelle. En quelques secondes l'affaire est pliée.
De mon côté j'hésite longuement à commencer mon périple en stop. Il devait initialement débuter en Biélorussie, mais une sombre histoire de visa refusé compromet mes plans. Cap sur Gdansk, en Pologne, et quelques trajets de nuits pour corser la sauce. Pas le temps de faire du stop. Et puis toute seule sans vraiment maîtriser le sujet, c'est peut-être un peu trop audacieux, ou inconscient, s'est selon.

Nous voilà à Kaunas, en Lituanie, prêtes à affronter le bitume, l'esprit ouvert à la rencontre. Le pouce s'agite, il trépigne. Nous sommes parfaitement complémentaires. Aurélie est méthodique et organisée. Elle étudie minutieusement la carte avant de se lancer tête baissée. Elle analyse le spot idéal, surfe entre google maps et google street view pour dénicher la meilleure station-service. Sur place, je prends la suite. J'active sourire, bonne humeur et relationnel pour créer du lien, rapprocher nos mondes et faire naître la rencontre. Je suis un peu le "GO" de la bande. Nos deux pouces sont complémentaires. Le rire est notre meilleur ami.
Pour sûr, les belles rencontres se provoquent. C'est un état d'esprit, un alignement des planètes qui fait que deux êtres se rencontrent. C'est ainsi que nous avons croisé le chemin de cette famille finlandaise sur le chemin de Malaga, un couple de jeunes anglais qui s'est pris d'intérêt pour notre épopée, une religieuse qui priera pour nous, des russes qui se seraient plié en quatre pour nous faire tenir dans la voiture si nous n'avions pas été deux (leur voiture débordait de bagages), et tant d'autres sourires échangés.
Faire du stop, c'est admettre un échange humain sans relation marchande. Un instant de partage de quelques minutes à quelques heures, sans conséquence, avec un début et une fin. Peut-être y aurait-il une continuité, mais rien n'est certain. Il faut être prêt à s'ouvrir à l'autre sans contrepartie, qu'on soit voyageur ou conducteur. Pas si simple dans notre monde sous contrôle où le lâcher prise est une denrée rare.
L'intuition est notre meilleure arme. Bien sûr, les risques existent, en premier lieu les accidents de la route. Un regard sur la voiture, une analyse succincte de la conduite, puis un coup d'œil au conducteur pour ressentir et faire confiance à son instinct. Il faut aussi faire tomber ses propres barrières sociales. Papa et maman ne nous ont-ils pas appris de ne pas monter en voiture avec des inconnus ? On aurait presque l'impression de désobéir, si on n'était pas tant convaincues par le pouvoir de la rencontre.


Ainsi s'achève ce carnet de voyage. Il t'aura peut être donné envie de tenter l'autostop, ou d'ouvrir ta portière à des inconnus. Penses-y lorsque tu les verras, sous la pluie, le pouce en l'air et le sourire au vent !

[Chapitre 7] Chapelet en capitales

Notre égrainage du chapelet des capitales baltes touche à sa fin. Une belle escapade dans ces contrées méconnues.
Rétrospective.
Gdansk, perle de la Baltique. Elle m'a charmé par sa délicate architecture et son histoire tourmentée. Comment rester insensible à la beauté du château de Malbork, l'un des plus grand du monde?  Comment ne pas succomber aux rues médiévales bercées d'immeubles uniques et rivalisant de beauté ? Et puis ce goût insatiable de liberté qui l'anime...
Cap sur Kaunas, cité sans intérêt, sauf celui de démarrer notre épopée en autostop.

Vilnius, elle a le charme d'une capitale qui n'y ressemble pas. Des rues qui se succèdent, sans néon ni escalade m'as-tu-vu. Elle a le charme discret d'une cité de province. Pourtant, sa gastronomie avant gardiste est d'une qualité rare. Pour un budget dérisoire... À quelques kilomètres de là, le château de Trakai, perché sur un îlot au milieu d'un lac aux eaux cristallines. Nous voilà embarquées pour ma première virée en pédalo!

Riga, mon coup de coeur. Sa vieille ville est moins charmante de Vilnius, mais sa richesse est ailleurs. Ce quartier Art Nouveau est de toute beauté. Mon regard s'accroche aux balustres, aux corniches finement ouvragées, à l'asymétrie des  pignons. Nous mettons également des mots sur les maux, face à l'horreur de la réalité soviétique. Toutes les ex républiques de l'Union étaient concernées, c'est pourtant ici que nous prenons notre piqure de rappel. Douloureusement.

Tallinn, ou le règne du Pancho. Il pleut averse. Kway et Pancho sont les rois du défilé des touristes. La ville a un charme fou. De quoi y passer trois jours, si seulement le temps s'y prêtait. De café en boutique, nous tentons de rester au sec, avant de rebrousser chemin. Nous sommes vaincues, trempées et grelottantes. La ville médiévale à pourtant beaucoup à offrir. C'est le terminus de notre épopée en autostop.

Nous saurons dans un ferry à destination de la Finlande voisine. Les voyageurs affluent, chargés de caisses d'alcool. Des provisions pour faire face au différentiel de coût de la vie. 3 heures de traversée plus tard, nous voilà dans notre dernière capitale. Helsinki nous surprend par sa richesse, alors même que nous n'en n'attendions rien. Nous aurions apprécié y rester une journée supplémentaire pour explorer quelques-unes des 300 îles environnantes. Côté climat, les choses empirent. Les averses sont encore plus drues et les éclaircies encore plus courtes.
Au terme de cette ultime journée de visite, voilà le retour à Paris.
Ainsi s'achève cette parenthèse sur les rives de la Baltique.

Pour ceux qui voudraient tenter l'aventure :
- durée idéale : une semaine à dix jours pour les 3 pays baltes
- moyen de transport : définitivement en bus (pas forcément en autostop! À vous de voir...). Les liaisons sont très régulières et peu onéreuses, alors même que le stationnement et la location des véhicules des hors de prix
- idéalement, atterrir à Vilnius et repartir de Tallinn (dans ce sens-là pour un meilleur effet "Waouh"). Vols low cost très abordables (des 100€ l'a/r)
- budget : à partir de 40€/jour en moyenne, sachant que les prix gonflent à mesure qu'on monte vers le nord
- Monnaie : l'Euro
- Langues : l'anglais partout, le russe sinon

- le + : un paradis pour les amateurs de bière. Pour les autres, j'ai testé les limonades, un vrai délice !

[Chapitre 6] La vie n'est pas une partie de pêche

Parfois on se lève le matin, plein d'entrain et d'optimisme. Prêtes à braver les kilomètres, à abattre du bitume, à converser avec le premier venu. C'est certain, le Riga-Talinn se fera en un coup de pouce.

Ou pas. Nous prenons place à la station-service du terminus du tram #6. Un spot idéal à l'embouchure de l'autoroute qui mène de Riga à Tallinn. À y regarder de plus près, c'est un joyeux bordel. Une fourmilière de gens pressés, le pied sur l'accélérateur et le regard absent. Le chassé-croisé des voitures est incessant. Difficile de s'y retrouver. Il s'écoule à peu près une demi-heure avant qu'Aurelie aborde Matias. Il organise un team building à 50km au nord de Riga. Il peut nous déposer avant de bifurquer. C'est entendu, marché conclu. On passe chercher son collègue en chemin. Ils sont adorables tous les deux, et avides de partager leur culture et leur histoire.

Leur GPS indique qu'ils doivent bifurquer. Pas de station-service. Les voilà tout chagrinés. Aurélie est portée par l'élan du pouce et leur déclare tout à fait normalement.
"Ici c'est très bien. On va vite repartir et les voitures roulent assez doucement"
Mais ça va pas dans sa petite tête ? On est au milieu de nulle part, sur la route principale qui traverse le pays, au milieu de la forêt.
Heureusement il y a un abris-bus à une centaine de mètres. Les deux Lettons sont rassurés, nous aussi. Au moins quand il pleuvra on sera à l'abri. Parce que, évidemment, il va se mettre à pleuvoir !

Pour la première fois on joue au "pouce-pancarte". Le vrai stop en somme. Un pouce en avant, une feuille dans l'autre main, et des sourires à s'en décrocher la mâchoire. Nous tenons le pouce ferme et fier. La pancarte n'était pas encore achevée qu'une camionnette nous proposait de nous pousser à 4km de là. Hum... Il nous reste 250 bornes. À ce rythme on n'est pas arrivées. Convaincues de repartir aussi sec, on décline la proposition.
Voilà 1h30 qu'on attend. Il se met à pleuvoir. Le pouce s'impatiente. Nous avons quitté Riga il y a 3heures et avons parcouru 50km. À cette allure on risque de passer la nuit ici.
Un bus s'arrête. On range le pouce au fond d'une poche et on décide monter à bord. Station-service en vue, vingt kilomètres parcourus hors-piste, mais qu'importe. Nous voilà dans notre élément, prêtes à partir directement pour Tallinn. Maintenant c'est certain, rien ne peut nous arrêter.

À la pêche, ça mord ou pas. Le pêcheur averti prend son mal en patience. S'il rentre bredouille, qu'importe. Il aura passé un bon moment. Sauf que le stop, c'est différent. L'intérêt réside dans la rencontre. Alors quand les minutes s'installent, le temps semble long.
Qu'il l'est, sur cette aire d'autoroute. J'ai le pouce triste. Personne ne veut de nous.
Bon... Ok... Ça fait plus d'une heure qu'on attend. Les voitures rentrent toutes à Riga. Et dire que j'aurais parié qu'on dégoterait quasi immédiatement une voiture direct pour Tallinn. J'ai le pouce ronchon. Un bus devrait passer dans 15 minutes. Résignées, nous sommes prêtes à rendre les pouces. Mais Aurélie ne se laisse pas abattre comme cela. Elle se lance, à pouce perdu, dans une ultime tentative de "pouce pancarte" au bord de la grande route. Je la regarde sceptique.
Elle a à peine porté le pouce en l'air qu'un gros 4x4 Lexus met ses warning et lui dit de monter. Elle me fait de grands signes, je rapplique avec les sacs, incrédule. Elle a le pouce en or!

Notre hôte est un peu rustre au démarrage. Il ne parle pas bien anglais. Il a tout d'un mafieux soviétique, mais soyons honnête, on est bien contente de l'avoir trouvé en route. Il rentre d'un rendez-vous commercial dans la province russe de Kaliningrad, cette enclavée entre le Pologne et la Lituanie. Il a l'air bien content d'avoir un peu de compagnie. On est installées comme des princesses dans sa voiture de luxe. On se croirait dans un canapé, à regarder le paysage défiler. On va avaler tranquillement les 250 km qui nous séparent de Tallinn. On discute. Il est Azerbaïdjanais d'origine. Il est venu en Estonie il y a 30 ans, pour son service militaire. C'était du temps de l'Union Soviétique. Elle a éclaté. Lui est resté. Sa vie et sa famille sont ici. On parle du Turkménistan voisin. Il découvre que je parle russe et se détend immédiatement. On fait saute-mouton dans les deux langues. Le pouce est heureux, la rencontre est belle.
On passe les portes de la ville à 16:02.
Le monsieur nous dépose à la prochaine station. Nous sommes au bout du parcours.

Alors voilà, on l'a fait! Nous avons traversé les Pays Baltes en autostop.
710 kilomètres parcours
7 véhicules empruntés
19 h de stop (dont 2h en pleine forêt!)
3 pays traversés en stop (et 5 sur la totalité du séjour)

Et d'innombrables belles rencontres, en voiture ou au bord de la route.

[Chapitre 5] Riga, du sublime au sinistre

Riga, une petite pépite perchée au nord de la Lettonie. Presque épargnée par les bombardements et le bétonnage soviétique, elle a gardé son cachet d'antan. Une histoire riche qui se conjugue aux passés.
Il y a d'abord la vieille ville avec ses rues médiévales et ses quartiers des XVII-XVIIIèmes siècles. Un repère de fêtards et autres touristes, venus goûter à la vie nocturne grâce aux innombrables bars. Jusque-là, je n'étais pas séduite. Vilnius nous avait offert plus de douceur, plus de mesure et d'intimité.

Le trésor de Riga est de l'autre côté des grands boulevards, dans un quartier jadis sertit de remparts. Face à l'accroissement démesuré de la population, la ville de transforme. Nous sommes au tournant du XXieme siècle. À la même époque, Mucha (Hongrie), Guimart (France), Gaudi (Espagne) ou encore Horta (Bruxelles) font émerger un art total, mêlant tous les artisanats et faisant cohabiter hommes, nature et mythologies. L'Art Nouveau voit le jour, nous sommes en 1900. Riga n'est pas en reste. Cependant, il faudra attendre près d'un siècle avant que sa grandeur soit reconnue par l'UNESCO. Pourtant, quel délice...
Je trépignais d'impatience à l'idée de partir à l'assaut de ce quartier et de ces pages de l'histoire architecturale. Nous y sommes. Là, devant ces chefs d'œuvres oubliés de l'Art du XXeme siècle.
Car ils ne se contentèrent pas de copier, ils créèrent un style letton, inspiré des motifs traditionnels, et puisant leur inspiration dans la mythologie égyptienne et gréco-romaine. On y retrouve le savant mélange des matériaux : fer forgé, céramique, verre, bois... Et des couleurs. Cependant, le style est plus asymétrique, plus déstructuré, comme pour donner plus de tonus et de vitalité.
Riga se visite la tête en l'air. Chaque immeuble donne l'occasion d'un arrêt sur image. Ici des chimères ou des têtes de pélicans, là des balcons aux ferronneries végétales. Je me délecte à chaque angle de rues. Aurélie n'est pas en reste. Guimart nous suit depuis notre premier jeu de piste, dans le 16eme arrondissement. Depuis, elle prend de l'Art nouveau en intraveineuses à chaque visite de capitales européennes. On dirait que ça porte ses fruits. La voilà à l'écoute des lignes verticales, des céramiques turquoise et des arabesques en bois.
Nous nous glissons incognito dans un immeuble lorsqu'un de ses occupants en sort. Une pincée d'interdit, un soupçon de bravoure. Mais le meilleur est dans la rue d'en face. Un incroyable escalier à vis, intégralement peint de motifs végétaux. Nous passons plusieurs heures à déambuler dans le quartier. Nous pourrions encore y rester, à flâner la tête en l'air. Cependant, c'est l'heure du plov. Souvenez-vous, ce plat de riz d'Asie Centrale, cuisiné à l'huile de coton avec du mouton bouilli et des carottes. Nous voilà attablées dans un restaurant ouzbèque, à savourer ce petit trésor venu de loin.

Ainsi s'achève la quiétude et l'insouciance. On ne peut pas échapper à l'Histoire, ni aux histoires. Celles de millions d'hommes et de femmes au destin torturé par un demi-siècle d'horreurs. Nous voilà devant l'ancien siège de la police politique de la République Soviétique Socialiste de Lettonie, le KGB, appelé ici la Tchéka.
À première vue, c'est un bâtiment à la façade défraichie. Comme beaucoup d'autres dans cette artère passante. C'est un immeuble de style Art Nouveau, inoccupé pendant de nombreuses années. Une simple pancarte en longueur indique le lieu. En poussant la porte, on fait un saut dans le temps. Ça commence avec le ticket que la jeune femme nous tend : un papier rose écrit en russe, une imitation de laisser-aller. La décoration défraichie interroge : choix muséographique ou devoir de mémoire? Retour dans les années 70-80, c'est presque hier pourtant. Comme si rien n'avait bougé depuis la chute de l'URSS.
Nous sommes une vingtaine de visiteurs à pousser la porte du fond. Celle qui donne accès à la face cachée et indicible de l'Histoire. Nous entrons dans le cœur du siège du KGB. Salle d'interrogatoires, cellules, lieux d'isolement, cuisines insalubres, salle d'exécution. Le récit de la guide est glaçant. Son ton et sa diction renforcent la pesanteur du lieu. Elle porte le témoignage de son arrière grand-père, et de tant d'autres.
Entre ces murs, les fantômes du passé peinent à se libérer. L'Histoire est encore tellement récente. 1991, c'était hier. Des millions d'hommes et de femmes humiliés, torturés, exécutés, déportés en Sibérie, au Kazakhstan et aux confins de l'Union. Ces pages de l'Histoire dont on parle trop peu, et qui nous reviennent en boomerang en ce début août 2017.
La maison révèle ses sinistres secrets, à l'heure où l'impérialisme russe se fait de moins en moins discret.
La visite se termine. Nous quittons le lieu à travers une porte cochère qui donne sur la cour intérieure. Celle-là même qui servait à évacuer les cadavres des prisonniers exécutés.
Nous voilà de nouveau dans les rues animées de la belle Riga. On aimerait vite fermer cette parenthèse et replonger avec insouciance dans le voyage. Pas si simple...

En route pour notre nouveau logement ! Un voyage sans aléa et sans petits imprévus serait bien fade. Alors on a corsé la sauce. Visiblement on s'est trompé dans l'itinéraire et dans les nuitées. Tout est décalé, il en manque et c'est un peu le bazar... On s'en est aperçu sur un malentendu à Vilnius, au détour d'une conversation anodine avec un couple de retraités français. Alors, zou. Un calendrier sous le coude, cette question récurrente "mais attend, on est quel jour-là?!" et rebelote, réservations et plan B car c'est assez complet en cette saison. Tout roule, c'est corrigé !
Pour notre nuit la plus chère de l'histoire, nous voilà dans un air BNB d'un jeune célibataire. Une sorte de taverne bordélique au septième et dernier étage d'un immeuble 1930. Un loft décadent dans lequel le lit jouxte les toilettes et la baignoire encastrée dans le parquet. Parfait pour notre love story avec Aurélie ! Heureusement qu'on se connait bien car c'est ... Intimiste^^.


Demain, cap sur l'Estonie. 310 km en stop, sous la pluie. On espère de belles rencontres et encore beaucoup de fous rires. Que l'aventure est belle quand elle est partagée !

[Chapitre 4] De petites victoires en grandes traversées

Andres : Vous n'êtes pas vraiment bien placé. Il faudrait que vous soyez là, plus au nord, fait-il en nous montrant la carte sur le gps
Marine : vous savez s'il y a des bus pour y aller?
Andres : arf, c'est pas simple. [Il réfléchie, Aurélie s'assure qu'il nous mène sur la bonne voie]. Le mieux c'est que je vous dépose
Marine : c'est sur votre chemin?
Andres : pas vraiment, mais ça me fait plaisir de vous aider.
Et voilà comment, quelques minutes avant neuf heures, Andres démontait un des deux sièges bébé de son monospace pour y caser deux auto-stoppeuses françaises rencontrées à une station-service. C'est ainsi qu'il nous a raconté avoir lancé la première radio indépendante de Lituanie, qui dure depuis douze ans maintenant, avoir fait un voyage d'études à Nancy et mettre bientôt le cap vers Helsinki, pour une émigration définitive dans un pays a l'écart des soubresauts de ma géopolitique internationales.

Nous voilà donc à l'entrée de l'A2, cap au Nord. 350 km plus loin et de l'autre côté de la frontière, nous devrions arriver à Riga, en Lettonie.
Premières prises de contact avec des conducteurs. L'aventure est faire de petites victoires, qui ouvrent la voie à de grandes traversées. Me voilà en train de discuter un trajet en Autostop... en russe! Mieux que cela, nous levons le camp. Mariuz est mécanicien. Il fait plusieurs fois par semaine la route vers la Lettonie. La conversation n'est pas très poussée mais on baragouine. 80km engloutis, un début prometteur. Ensuite Mariuz bifurque, c'était convenu ainsi. Lorsqu'il met ses warning pour nous lâcher sur la bande d'arrêt d'urgence juste avant la bretelle, on hésite en frisson et fou rire. De route façon je ne sais pas dire "dangereux" en russe. Alors à grands renforts de phrases tordues, on lui fait comprendre qu' il doit nous laisser à la station-service la plus proche. C'est dans la poche, pense-t-on. Sauf que la station-service est partagée dans les deux sens de circulation et que tous les véhicules retournent à Vilnius.
Pelé mêle de rencontres adorables. Notre histoire leur plait. La destinée met Arthuras sur notre chemin. Il est mignon, monsieur Bisou. Il rentre à Vilnius mais il aime bien notre aventure. Il est tout content de tailler une bavette en anglais. Il fait un crochet à la station-service précédente pour nous déposer. Une poignée de main pour se saluer, et voilà qui nous pose un gros bisou sur la joue avant de filer. Euh... On n'a pas le temps de dire quoi que ce soit, même pas de grommeler. Il file aussi sec, dans sa camionnette d'électricien.

Puis vient le moment de solitude intense. Celui où tu te retrouves sur une aire d'autoroute déserte, exactement à mi-chemin entre Vilnius et Riga. Là où commence l'éloge de la patience. Les demi-heures s'égrènent... Pas grand monde sur l'autoroute et les quelques voitures vont en sens inverse. Néanmoins encore de belles rencontres, comme cette famille finlandaise qui déménage à Malaga. Elle adore notre voyage malheureusement ils mettent cap au sud. On bavarde quelques minutes. Une tape dans la main pour se souhaiter bon vent, et des coups de klaxon pour souder la rencontre.
Retour à la case départ. Il y a bien cette belle Jaguar aubergine, qui relève presque du defi. Imagine, de l'autostop en Jaguar ? C'est la classe non ? Allez, on tente ! Chou blanc...
Toujours personne sur l’autoroute. Si à 14h on n'est pas parties, on trouve un moyen d'aller à la gare routière et on prend le bus... Enfin, ce serait un échec quand même. 2h écoulées, encore une heure avant de baisser les bras...

Je dessine un visage triste sur mon pouce gauche. Exactement au même moment Aurélie trouve une adorable famille anglo-polonaise qui passe ses vacances dans les pays baltes. Une belle rencontre, au bord de la route. On parle de tout : de la vie en Pologne, de leurs vacances en transit Étienne, de l'immigration en France, de l'ex union soviétique, de voyages... Les kilomètres s'égrènent, les minutes défilent. Bientôt le panneau "Lettonie". Nous y sommes!! Enfin, Riga.

De sauts de puce en coups de pouce, nous voilà à mi-parcours. L'idée d'arriver au bout semble de moins en moins farfelue. La curiosité des gens que nous rencontrons et l'étincelle dans leurs yeux lorsqu'on raconte notre épopée nous fait dire qu'elle réserve encore de belles surprises. Qu'importe le chemin, qu'importe la durée. Chaque minute est unique et nous les savourons.


Il est temps de partir à la découverte de l'intrépide Riga. La vieille ville n'a peut-être pas le cachet de Vilnius mais son quartier Art Nouveau m'intrigue. Chaque jour son mot de découvertes. J'ai déjà hâte d'être demain...

[Chapitre 3] Le pouce en fête !

Aurélie : J'y crois pas à ce spot. Les gens ne s'arrêteront jamais ici.
Elle n'a pas tort. On est au bord d'une grande avenue, deux fois 4 voies, au pied d'un arrêt de bus. Avec notre petite pancarte "Vilnius" qui commence à prendre la pluie, c'est mal embarqué cette histoire.
Marine : Bon... C'est pas très concluant notre affaire.
Aurélie : Ça fait même pas 15 minutes... On se donne une demi-heure et on avise. Ok?

L'aventure est en marche !
J'ai quitté Gdansk presque à regret sur les coups de 19h la veille.
Après être partie à l'assaut du plus grand château médiéval d'Europe, avoir bravé les Croisades auprès des chevaliers de l'ordre Teutonique, puis combattu l'envahisseur prussiens, j'ai mis le cap sur le farniente à la nordique. Une journée plage et coups de soleil à Sopot, la Deauville Baltique. Plage de sable fin, derricks pétroliers et chantiers navals en arrière-plan, mer à 18 degrés. Bon, s'il n'y a que ça a se mettre sous la dent, allons-y!
Il est temps de repartir. Un débarbouillage/désablage express, quelques courses et zou, c'est parti pour 10h de bus.
Kaunas, Littuanie - 5h20. Je passe la porte d'un surprenant hôtel, tout droit sorti d'un film des années 30. Décoration et charme d'une époque désuète. Je monte les escaliers à pas feutrés. On dirait un rendez-vous entre amants clandestins! Je toque à la lourde porte en bois, la réceptionniste téléphone à Aurelie. On réveille sûrement tout l'hôtel... Je me glisse sous la couette et grignote trois heures de sommeil. Il est temps de passer aux choses sérieuses.
Le temps se gâte. Ça sent l'orage. Voilà 30 minutes qu'on active les sourires au bord de l'avenue. Aurélie a trouvé le point idéal à l'entrée de l'autoroute qui mène à Vilnius. 120 km en ligne droite, so easy... Ou presque !
On alterne fous rires et moment de réalisme. Elle est un peu dingue notre idée d'autostop. Est-ce que ça va marcher ? S'il faut retourner à la gare routière pour prendre le bus, on n'est pas arrivées...

Une petite mamie nous aborde. On parle russe.
- Pour Vilnius, il faut prendre le bus derrière le carrefour, de l'autre côté. Ici c'est pas bon pour vous.
- Le bus? Ah non, on y va en stop! (Note : très fière, j'ai appris à dire "autostop" en russe !)
- En stop? C'est vrai? Ah bah là je ne peux pas vous aider... Bon voyage!

C'est décidé, on change de place.  Il nous faut un lieu qui permet plus de proximité. On se met en quête d'une station-service. Traversée hasardeuse d'un carrefour à 8 voies dans tous les sens et sans passage piéton...

"Hello, we are two Girls, from France, travelling to Helsinki. By chance, do you drive to Vilnius?"
Le discours est dans la poche. C'est parti!

Encore 30 minutes à arrêter chaque conducteur qui vient faire le plein d'essence. Personne ne semble aller à Vilnius. Les gens sont sympas et nous souhaitent bonne chance. Ça sent le roussi notre histoire. Je dessine un smiley triste sur mon pouce gauche. J'ai à peine posé le style qu'Aurelie revient sourire aux lèvres. C'est bon!!!
Aurélie : on va à Vilnius...
Tomas : oui, moi aussi, montez
Aurélie : Euh... On fait du stop ? Vous nous emmenez ?
Tomas : Oui,bien sûr. Je fais le plein et on y va. Montez
Olala... On y croit à peine! On vient de réussir notre première vraie demande en stop! Sans filet et sans assistance. On dessine un pouce "happy" sur notre main droite. C'est parti!!! Le pouce en fête, on prend la route.

Tomas est adorable. Il fait du trading de voitures allemande vers Hong Kong. Il sera papa dans quelques mois. Il nous parle des relations tendues avec la Russie, des changements liés à l'Europe, des belles choses à voir dans son pays, de ses voyages. Il nous conduit à bon port dans une BMW toute neuve. Mieux encore, il nous dépose à notre logement, trop content de nous aider dans notre expédition, et très fière d'être notre "First driver". Le clou du trajet, il a arrêté une voiture sur le bas-côté pour que sa conductrice nous prenne en photo.


Prochaine étape, rallier Vilnius à Riga. 265 km et un passage frontière. Chiche?

[Chapitre 2] Lettre à Gdansk

Gdansk, beauté insoupçonnée. Je te situé sur la carte à travers les manuels d'histoire. Tu as vu basculer l'Europe en 1939. Car c'est ici, au bout du corridor de Dantzig, ton nom allemand, qu'ont eu lieu les premiers combats de la seconde guerre mondiale. C'est ici que le tragique destin de millions d'hommes et de femmes allait se signer, se saigner.
Bombardée, annexée, ruinée, tu t'es relevée. Tu continues à te reconstruire, en témoignent les dizaines de grues qui s'élèvent autour de la vieille ville. Pourtant quelle destinée...
Tour à tour cité autonome au régime souverain et ville annexée par les prussiens, les teutons, les baltes... Tu as construit ta richesse sur le commerce du blé et le transport de marchandises.
L'architecture de la vieille ville en témoigne. Elle a traversé les siècles avec autant d'élégance que de délicatesse. Parmi les hautes maisons colorées, on jongle avec les styles : flamand, gothique, néo-classique, art nouveau, renaissance... Chaque immeuble mérite de s'y arrêter. Derrière chacun une histoire à raconter. Mise à terre, détruite et reconstruite, tu ferais presque oublier les douleurs de ton passé.
Gdansk, je te découvre par la flânerie.
Je me suis assise à la terrasse d'un café pour regarder le balai des badauds : les groupes de touristes allemands et leurs éternelles chaussettes, les convois de poussette, les amoureux transis, les amants inavouables, les couples qui se découvrent, les familles recomposées, la bande de potes venus faire la fête... Tu respires la quiétude. Portraitistes, faiseurs de bulles de savon, marchands d'ambre, pirates et autres troubadours, musiciens... Tous t'animent. Les marchands de glace sont tout aussi nombreux que les cafés. Serait-ce un sport national ? Depuis toujours, tu es l'avant-poste de la liberté.

La liberté. Un mot que tu portes au fond de toi.
1970. Cette date te donne des frissons, ton pays a tant saigné. Un premier soulèvement ouvrier est maté par la violence.
Eté 1980, le prix des denrées alimentaires flambe, des grèves éclatent dans le monde ouvrier. On réclame un syndicat indépendant et autonome, capable de défendre les droits des ouvriers. Les chantiers navals font la fierté et la renommée de toute l'Union Soviétique. C'est pourtant là que la révolte éclate. Le mouvement Solidarnosc durera près de dix ans, alternant clandestinité et percée politique.

Plac Solidarnosc. A l'arrière-plan de ce cliché intemporel, les bras articulés des chantiers navals. On dirait de grosses araignées. Le ciel est gris et bas. L'orage est imminent.
Un homme en bleu de travail arrive des chantiers tout proches. Il s'assied sur un banc, le regard face au monument commémoratif. Quel âge peut-il bien avoir ? Que faisait-il en 1980 ?
Au pied de l'immense mémorial, cette citation traduite en plusieurs langues.
"Aux victimes, dédie à leur mémoire et en signe d'hommage,
Aux gouvernements, en signe d'avertissement qu'aucun conflit social dans notre patrie ne peut être résolu par la force,
Aux concitoyens en signe d'espoir que le mal peut être surmonté."
Nous voilà exactement là où tout à basculé. Là où l'URSS s'est fissurée sous la houlette de Lech Walesa, simple ouvrier, futur Président de la République de Pologne et prix Nobel de la paix. C'était il y a près de 40 ans. Alors lorsqu'un arc en ciel est venu encadrer la place Solidarnosc, les regards se sont arrêtés quelques instants. C'est ma voisine de tram me l'a fait remarquer.

Juillet 2017. Dans les journaux européens, les gros titres trahissent la peur de voir basculer la Pologne hors du cadre de la démocratie.
Souviens-toi, Gdansk, du chemin parcouru. Tout est tellement fragile.
Bien à toi.

[Chapitre 1] Éloge de la lenteur

Le train entre en gare. Un lombric métallique, une carcasse articulée qui s'élance à travers la Pologne pour une course folle. Il fend la nuit au rythme lent de celui qui n'a pas pour vocation de vaincre les minutes.
22:40. Je prends place dans le compartiment. Ils sont déjà 4 passagers à sillonner la vaste plaine. En face de moi, un jeune homme, la trentaine dévore frénétiquement son livre de science-fiction. À sa droite, une dame à l'anglais impeccable, prendra soin de me prévenir à l'approche de ma station. Elle partage la banquette de velours vert avec un monsieur aux cheveux blancs et à la chemise damassée.
À cette heure, le bruit des wagons sur les rails rompt le silence de la nuit. L'engin se met en branle. L'air frais s'engouffre par la fenêtre. Il s'enroule autour de ma nuque. Je frissonne. Cette odeur... Un mélange de bitume chaud et de frein fondu. La porte du compartiment claque à chaque soubresaut de la diligence.

J'aime l'atmosphère surannée des expéditions ferroviaires. Nul doute que celle-ci sera plus calme que ma dernière virée polonaise.
Août 2012, épopée par le rail d'Istanbul à Faremoutiers, en Seine et Marne. 5 semaines à travers l'Europe. J'ai rendez-vous à Berlin avec Axanne. Je dégotté au pied levé une place dans un train de nuit depuis Cracovie. Dans le compartiment, nous sommes deux, lui et moi. Lui, un jeune gothique qui descend sans relâche un vin bon marché aromatisé à la cerise, planqué dans une bouteille de coca. Le type est super bizarre, le compartiment fermé, porte et fenêtres occultées par les rideaux. "Tu n'as pas peur de voyager seule? Tu pourrais faire de mauvaises rencontres...". Euh... maintenant qu'on en en parle... J'étais presque soulagée quand une bande de jeunes polonais est monté dans le train quelques stations plus tard, joyeusement ivres, pour taper le carton toute la nuit à grands renforts de vodka !
Le train s'arrête. Je me suis endormie, profondément. Je regarde mon téléphone. Déjà deux heures écoulées. Le lecteur qui me fait face à presque terminé son bouquin. Les autres passagers ont changé de place. À ma droite, le monsieur grisonnant a pris ses aises. Quand je dis "à ma droite" c'est peu dire. Il dort... Sur mon épaule ! J'échange un regard médusé avec mes voisins d'en face, qui n'en pensent pas moins. Je gesticule pour le repousser gentiment. Ça n'a pas l'air de le déranger plus que ça !
Alors, mettons les choses au clair. J'ai sûrement des épaules moelleuses et confortables, mais elles ne se prêtent pas aux inconnus. Allez, oust! Je me rendors, lui aussi. Toujours aussi collé... Ca suffit là, surtout que vous n'avez pas de voisin à votre droite et toute la place pour vous étaler ! Le message est clair?! Je me mors les joues pour ne pas rire. De toute façon je descends dans 40 minutes...

Il pleut. Me voilà presque au bout de ma longue échappée de Joinville à Gdansk. Je saute dans un taxi. Il est 3h du matin lorsque je me glisse sous la couette. J'ai l'impression d'avoir quitté la maison depuis une éternité. Demain, je prévois de traverser l'histoire millénaire d'une des plus vieilles villes d'Europe...

[Chapitre 0] A deux pouces, de Pologne jusqu’en Finlande en autostop

Partir. Loin et près à la fois.
Un bagage léger, la tête ailleurs et l'esprit ouvert.
Se dire qu'on ne sait pas exactement où on va, et que la route n'est pas complètement tracée. Qu'il y a une part d'aléa, de lâcher prise pour couper avec notre quotidien sous contrôle.

Le pouce en fête, fier et droit au bord du chemin. Il sera guide, un mètre devant. On espère qu'il sera à la hauteur. Et sinon? On le rangera discrètement dans une poche et on prendra un ticket de bus. Qu'importe.
L'inconnu, les rencontres, la découverte de l'Autre, tel est le programme.

Joinville, Paris, Beauvais, Varsovie, Gdansk. Le début de l'aventure. Retrouver le plaisir de dompter l'inconnu, seule.
D'abord découvrir Gdansk, ville de pêcheurs du nord de la Pologne, qui a marqué un tournant dramatique dans l'histoire du XXeme siècle.
Puis égrainer les pays Baltes, du Sud au Nord, à petits coups d'autostop. Traverser la Baltique pour grignoter un bout de Finlande.

Partager cette nouvelle expédition avec Aurélie, comparse inébranlable des épopées insolites. Après l'Inde, l'Ukraine, le Sénégal et l'Espagne, cap au Nord. Rarement voyage en tandem a été aussi peu préparé. Mettons cela sur l'effet d'expérience, sur la confiance en notre bonne étoile et sur l'écoute attentive de ce qui nous entoure.

Midi quinze, mon Blablacar pour Beauvais ne devrait plus tarder. Le souffle de l'aventure ne m'a pas encore complètement gagné, mon esprit n'a pas encore lâché son hyperactivité habituelle. Déjà, pourtant, la curiosité me titille...


Bien à toi, lecteur.

mercredi 22 mars 2017

[Chapitre 5] Choc des cultures

Et bien voilà, c'est un fait. Le chinois pète, rote, crache et piaffe à table. Il bouscule sans s'excuser et ne tient pas la porte. 
Il est scotché à son téléphone portable, passe son temps à prendre des photos et à les publier sur les réseaux sociaux. 

Au delà de ces considérations de pure bienséance, me voilà propulsée au 23eme siècle. Ici toutes les transactions peuvent se régler depuis son téléphone portable : électricite, restaurant, achats au supermarché et même au petit marchand de fruits et légumes. Il peut aussi donner le solde de la carte de transport, louer un vélo ou prendre un taxi. Quelle claque! 
Dans un restaurant de fondue chinoise, la serveuse nous apporte des petits sacs hermétiques pour les protéger des éclaboussures tout en continuant à les utiliser le temps du repas, évidement!

D'ailleurs, cette omniprésence de l'instantané, du mouvement, se traduit jusque dans les musées! Rendez vous est pris pour une visite du Power Station Art Museum, le musée d'art moderne de Shanghai, situé dans une ancienne usine de production électrique. L'Art contemporain laisse peut être perplexe, mais la muséographie est décapante. Toutes les mises en valeur des œuvres sont immersives, faites d'écrans multiples, de faisceaux lumineux et de supports palpables. Ici on touche, on écoute, on regarde. On ne comprend pas tout mais en lâchant prise, le musée prend une forme vivante, vibrante. Expérience intéressante!

Comme dans les escales précédentes de Shanghai et Macao, le chinois consomme. Partout, tout le temps. Je ne compte pas les boutiques Cartier, Rolex ou Vuitton croisées sur mon chemin, les innombrables centres commerciaux et les gadgets en tous genres. Il n'y a pas que du bon goût, qu'on se le dise! Production locale oblige, on y trouve toutes les "kitcheries" possibles et  imaginables : coques de portables, clefs USB, chaussettes... Le ridicule ne tue pas, sinon risque avéré de génocide!

Il faudrait plus de temps, de la patience et de l'immersion pour appréhender plus en profondeur les cultures chinoises. Car il n'y a pas une culture, malgré la révolution culturelle, mais autant qu'il y a d'ethnies, de régions, dans ce vaste territoire grand comme 14 fois la France.
Il faudra nécessairement d'autres voyages dans ces contrées.

Affaire à suivre!

*****

Ainsi s'achève cette courte escapade au pays des dumplings, des buildings et des superlatifs. J'espère vous avoir donne un aperçu dépaysant de cette virée dans l'Empire du Milieu. Prenons cela comme un apéritif, à prolonger d'une dégustation plus longue ;)

À bientôt pour d'autres aventures,
Marine

[Chapitre 4] Suzhou, aperçu de l'autre Chine

En réalité, la vraie Chine est ailleurs. Shanghai l'avant-gardiste donne le ton, mais imprime une image différente de celle de la République Populaire. Je m'aventure donc en-dehors, direction Suzhou, à prononcer "soudjo", à 80km de Shanghai. Ne nous méprenons pas, il s'agit d'un confetti d'aperçu, tant le pays est grand et les cultures régionales diverses.

J'ai acheté mes billets de train la veille, à la Gare du Nord, après une heure de queue. Première remarque : ici on fait la queue. Partout, tout le temps. Pour entrer au resto, pour monter dans le métro... La discipline n'est pas celle de Hong Kong et il n'est pas rare de voir un quidam passer devant tout le monde, sans gêne. 

La gare est est immense. Le tableau d'affichage, écrit en chinois.Je comprends grâce au numéro du train que je dois me rentrer au numéro 3. Les informations sont en chinois. On fera avec! 
J'arrive dans une immense salle d'attente, qui "stocke" les voyageurs du train 71907. Le tableau d'affichage passe au vert. C'est le signal : il est temps d'embarquer. Une marée humaine se lève et s'approche des tourniquets. C'est une ligne à très haute vitesse. Sur le court trajet jusqu'à Suzhou, la locomotive tirera les wagons à 301 km/h. Ce n'est rien comparé aux 432 km/h du train pour l'aéroport (!) Mais ça reste hautement vénérable.

L'annonce de l'imminente arrivée me sort de mon micro sommeil. Les trajet aura duré à peine 25 minutes. Température extérieure : 7 degrés. Je sauté dans un taxi, direction la vieille ville. Le guide du routard est mon ami. Le type ne parle pas anglais, je ne parle pas chinois. Mais on y arrive.

Suzhou est connue et reconnue pour ses immenses jardins. Neufs d'entre eux sont classés au Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Plus encore que des jardins, ce sont des lieux de communion entre l'homme et la nature, de fusion avec les éléments. Roches, eau, végétaux, pagodes se marient sans fausse note dans une harmonie rasserenante. 

La ville est parcourue de canaux. Les maisons basses aux façades blanches sont des dédales de pièces glacées et humides. En passant une tête dans l'encadrement d'une porte, j’aperçois un couple d'anciens, emmitouflés dans leurs doudounes, bonnet vissé sur le haut du crâne.

Les rues sont parsemées de carottes. Pattes de poulet, boulettes de poisson, tripes et autres joyeusetés jalonnent mon parcours. Je tente quelques expérimentations, toutes courronées d'échec. Décidément, je n'ai pas le coup de main!

Le ciel bas et lourd, la pluie fine et le vent glaçant ont raison de ma détermination. Je suis fatiguée, fourbue et gelée. Mon sens de l'orientation défaille. Après moultes aller-retour au bord du canal principal, je finis par battre en retraite et prendre le chemin de la gare. Un dernier effort pour avancer mon billet de train, et je prends la route pour Shanghai.

Le hasard faisant étonnamment les choses, nous retrouvons pour dîner un directeur de Master de Dauphine, que nous avons eu comme prof en dernière année. Il ouvre un parcours d'échange à Shanghai. Autour de la table, un expatrié Suez qui bosse dans le déchets, nous convenons que nous avons de probables interlocuteurs communs. Décidément, le monde est bien petit!

[Chapitre 3] Shanghai, Hyper-méga-super-latif

Rien. Tout. Plus. Trop.
Par quoi commencer? 

D'abord la ville. J'ai pris mes quartier chez Michael et Émilie. Depuis les bancs de Dauphine, il a mis le cap sur le Jura Suisse, au pays des horlogers. Avec sa moitié, ils poursuivent l'aventure ici, en Asie, où l'enseigne à la Panthère incarne le luxe à la Française. Portrait d'une échappée prestigieuse sans être tappageuse. 
Nous voilà dans l'ancienne "concession française", qui a laissé son nom au quartier. Petites maisons basses à pans coupés, avenues bordées de platanes, boutiques chiques et branchées. Direction le musée de la propagande politique, une galerie privée d'un collectionneur qui a regroupé cinquante ans d'affiches à la gloire du parti unique. Marteau, faucille, slogans rouges et figures gaies d'un peuple heureux. Le tout bordé d'infinies prétention afin de mettre en avant la valeur artistique inestimable de ce trésor dépolitise... Ben voyons!

Je pars à l'attaque de la mégalopole. Étonnamment, elle paraît sage et bien rangée. Il faut dire qu'il y a à peine vingt ans, Shanghai était une ville, comme des milliers d'autres. Sous l'impulsion d'un maire visionnaire, elle a changé de visage. En 2012, elle accueille l'exposition universelle et fait peau neuve.  Le Bond, grande promenade aménagée le long du fleuve, donne le ton. Sur la gauche, les anciens bâtiments coloniaux, vestige du temps glorieux des concessions étrangères, lorsque Shanghai était un dynamique comptoir commercial. De superbes banques Art Déco, tout droit sorties des années 30, les sièges originels de banques influentes comme la Honk Kong-Shanghai-Bank Corporation (HSBC). Sur la droite, Shanghai se tourne vers l'avenir. Le quartier neuf de Pudong est effronté. Il tient tête aux superlatifs. La Shanghai Tour est la seconde plus haute du monde, son ascenseur détient le record de vitesse. La tour de télé est à troisième plus haute. À dix-huit heures, les tours s'éclairent, avec plus ou moins de bon goût. Question de point de vue.
Pour clôturer ma virée dans l'Empire du Milieu, rien de mieux qu'un verre au 97eme étage, dans le bar de l'hôtel Hayatt. Double plaisir : le confort des fauteuils douillets de cet établissement de prestige, et la vue époustouflante sur la forêt de grattes ciels.

Paradoxalement, l'ensemble ne paraît pas démesuré. La politique d'urbanisme a permis d'accorder les axes de communication, les quartiers et les centres urbains. Ainsi chaque district est auto-suffisant, comme une "ville dans la ville". 23 millions d'habitants, dix fois plus que Paris et la petite couronne réunis... 

Il reste encore quelques vieux quartiers, vestiges de la Shanghai d'antan. Il s'agit de petites maisons basses, dans des rues etroites. Derniers bastions de l'autre Chine, sans égouts ni toilettes. Leur sort est entre les mains de promoteurs immobiliers, qui joueront bientôt du rouleau compresseur pour faire place à des grattes ciels impersonnels mais hygiéniques. 
Je fais la connaissance de deux cousins à la sortie du métro. Elle travaille chez Booking.com dans l'ouest de la Chine, lui est agent immobilier. Nous engageons la conversation, avec sourire et bonne humeur. Ils rendent visite à un cousin pour quelques jours. Je me joints à eux pour une dégustation de thés. Avec le même cérémonial qu'une dégustation de vin chez nous, je découvre le caractère quasi sacré qui entoure le breuvage. D'abord choisir un chiffre, associé à un voeux. Poir nous ce sera le "6" pour du bonheur et de la réussite. Ainsi allons nous goûter 6 thés, aux vertues curatives : Oulong, Litchee, camomille... Pour chacun, un service adapté et une température spécifique. Lucky Bouddha nous accompagne. Il faut caresser son gros ventre pour porter chance. La jeune femme prend une attention particulière pour me traduire chaque étape. Au moment du 6eme thé, la "maître du thé" nous propose un thé d'une grande rareté (à 20€ la tasse, tout de même). Je passe mon tour. Je viens de comprendre que chaque petite tasse coûte à elle seule 7€, l'addition s'annonce salée. Problème, si on ne prend pas le dernier thé, nous serons à 5 et donc n'atteindrons pas le bonheur et la réussite. Superstition quand tu nous tiens... On se rabat sur un autre thé, bien moins cher. Visiblement le coeur du sujet m'échappe encore un peu! 
Je m'attaque ensuite à la "vieille ville" rénovée. Autrement dit, une belle vitrine de la Chine des cartes postales, construite de toute pièce dans les années 1990. Elle abrite tout un tas de boutiques et d'attrapes touristes. À un feu rouge, je fais la connaissance d'un monsieur à l'anglais impeccables. Il doit avoir 70 ans passés. On fait un bout de chemin ensemble. On parle de tout : nouvel an chinois, stagnation économique en Chine, dynamisme de Shanghai, politique étrangère, Hollande, le Pen, sortie possible de la zone Euro et ses conséquences. Je lui parle de mon boulot, lui du sien. Il est producteur de perles et bijoutier. On arrive aux pieds de ses locaux. Il me propose de monter et de m'expliquer comment ça marche. "OK, mais je n'achète rien!". Au premier étage, une belle boutique et 4 vendeuses. J'ai le droit à une explication en anglais sur les perles de cultures. Savez vous que les perles de rivières sont produites en introduisant des morceaux de viande dans les huîtres? Jusqu'à 100 pour un maximum de 20 perles? Que ce sont les nutriments qui donnent les couleurs de perle? Raison pour laquelle les perles de couleurs sont plus chères, car plus rares... Après des négociations serrées avec le patron lui meme, je repars avec une paire de boucles d'oreilles et le souvenir d'une belle rencontre.

Je finis la matinée autour d'une poignée de dumplings, des raviolis chinois, dans le plus vieux resto de la ville, toujours sur les recommandations de mon papi business man. Ce jour il n'y a pas grand monde, seulement 20 minutes de queue!

[Chapitre 2] Macao, mirage en mer de Chine

L'avantage de ne pas préparer son voyage, c'est que la surprise est complète, totale. Il y a bien ces images chimériques tissées à la seule évocation du nom "Macao", mais que peuvent-elles encore représenter? Sont-elles des fantômes du passé ou ont-elles traversé les couloirs du temps?

Me voilà donc embarquée vers la folle Macao. Folle? Comme au temps du comptoir colonial portugais, où les marins et marchands noyaient leur éloignement dans l'alcool de riz, soignaient leur solitude dans les bras des filles de joie, et perdaient leur rente dans des tripots enfumés. Macao fut le premier port européen en Chine, bien avant Hong Kong. Il resta sous domination portugaise pendant 500 ans, jusqu'en 1999, avant de passer discrètement sous l'égide chinoise. 
À bord du ferry, bercée par le clapot de la mer de Chine, je plonge dans l'histoire riche et dynamique de ce caillou de 29km². 
Le vieux centre a conservé ses bâtiments coloniaux et ses églises portugaises. Classé à l'UNESCO, il est un exemple typique d'architecture coloniale.

La traversée en ferry dure une heure. Le bateau est plein de chinois en route pour les casinos de cette Las Vegas asiatique. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille...
J'ouvre les yeux et sors de ma torpeur. L'ile est en vue, droit devant. J'interrompt mes pensées. Images irréelles. Le petit port de pêche d’antan a disparu. Devant mes yeux écarquillés, des immeubles flambants neufs, des casinos tapageurs, une tour parmi les 15 plus hautes au monde. L'hôtel "le Lisboa" ressemble à un épi de blé géant, illuminé comme un sapin de Noël à la nuit tombée. Je reste sans voix. C'est donc cela, le Macao de 2017?! Je ne suis pourtant pas au bout de mes surprises.

Passage de douane, visa, bus public n°3. Me voilà en route, pour un saut à cloche pieds dans le XVIIeme siècle. Un pied au Portugal, l'autre bien ancré en Chine. Les églises vert pastel côtoient les innombrables magasins aux enseignes lumineuses, entre lesquels s'intercalent théâtre et dispensaires. Les petites maisons basses manquent d'entretien, vouées au culte de la consommation de masse. La vieille cité a triste allure, malgré un charme certain. Sans politique de préservation du patrimoine, la mythique Macao risque de n'exister que dans des romans d'un autre temps.

Place au dépaysement! Enseignes en portugais, qui reste la langue officielle, restaurant de cuisine macanaise, savant mélange de cuisines portugaise et chinoise. Sans oublier ces incroyables sablés aux cacahuètes et amandes, un régal. Elles existent aussi au sésame noir et ... Au porc séché! Quelle surprise lorsque la gourmandise m'a conduit à accepter celui que me tendait une vendeuse. Erreur fatale... Il était au porc. Immonde. Beurk...

Après une agréable balade à pieds dans les ruelles pavées du vieux Macao, il est temps de me diriger vers l'ile de Taipa. Me voilà au centre de tous les superlatifs. Las Vagas, à côté, passerait pour un village de vacances. 42 milliards d'euros générés en 2013, contre 6 milliards pour la cité du jeu américaine. Je mets les pieds dans le temple de la démesure.

Immenses, lumineux, clinquants, surdimensionnés, scintillants. Les bâtiments s'égrainent en un chapelet de resorts luxueux. Je pénètre dans "The Vénitian". Le propriétaire des lieux y a reconstruit Venise: place Saint Marc, pont des Soupirs, canaux et ... gondoles!
Le marbre est en provenance réelle d'Italie, les gondoliers d'Europe, les chants en Italiens. 
Les boutiques de luxe se succèdent, rivalisent de vitrines alléchantes. Tout transpire le luxe tapageur. Et puis il y a les salles de jeux. Machines à sous, tables de cartes. Les croupiers tendent la main aux futurs clients. Les mises d'entrée sont colossales, 250€. Photos interdites, âge minimal 21 ans. Pas de pendules, pour voir les heures s'écouler. Dans les galeries, pas de sièges pour se poser. Consommer. Partout. Tout le temps.
Hélas, les casinos font moins recettes. Les manias du tourisme du jeu sont toujours aussi puissants, mais les luttes contre le blanchiment d'argent réduisent les transactions.

Pour renouveler le genre et attirer toujours plus de visiteurs, les casinos développent une activité de divertissement. Dans le complexe "City of Dreams", un show digne des grandes productions hollywoodiennes attire 4000 spectateurs par jour. En ce 14 février, j'étais des leurs, pour une expérience mémorable. 
Imaginez. La scène est un bassin contenant l'équivalent de 4 piscines olympiques. Les gradins l'entourent à 360 degrés. Un écran géant de 20x20 mètres sert de décor. 100 artistes, danseurs, cascadeurs, acrobates et contorsionnistes s'activent sur scène 200 autres personnes assurent l'ingénierie, la sécurité, les costumes, la régie, l'approvisionnement en oxygène des nageurs/danseurs. Un mécanisme incroyable de décors fait sortir de l'eau une épave de vieux voilier, puis une pagode chinoise.  Des acrobates descendent du ciel, à 40m de haut. Soudain la piscine s'assèche. Un plancher sort des abysses et la recouvre. Le spectacle qui a débuté en mer continue sur terre. Une histoire de princesse à délivrer. Un mélange de pirates de Caraïbes et de Notre Dame de Paris. Les musiciens jouent en live pour un show sans fausse note. Tout est sous contrôle. Même les acrobaties croisées de 7 motards qui s'élancent à travers la scène sont dans le scénario. No limit. Seule la créativité du metteur en scène italien pose les bornes. La salle a été construite sur mesure pour le spectacle. Montant de l'addition : 250 millions de dollars.

Après 1:30 de représentation, le souffle coupé, des étoiles plein les yeux, je monte dans un bus à destination du terminal des ferries pour Hong Kong. Cette journée était follement irréelle. Mirage ou réalité? Paillettes éphémères ou ancrage durable ? De vraies contradictions éthiques et de responsabilité sociétale pointent derrière tout cela.
Au delà de ces considérations, un seul mot... Waouh!

Merci à la famille Kieffer de m'avoir permis de vivre une expérience aussi décapante. Merci pour votre accueil, votre bonne humeur et vos conseils éclairés! 

Prochaine étape : Shanghai.
À suivre...

[Chpitre 1] Hong Kong, errances urbaines

Portrait chinois.

Si j'étais un animal, je serais un écureuil. Il faut son agilité pour se hisser à travers les buildings. Vertige la tête en l'air, dominée par ces tours à la hauteur infinie. Regard en contrebas. Vertige encore, devant ces axes bétonnés qui s'entremêlent dans un entrechat encombré de ponts suspendus, passerelles aériennes et escalators de tous les superlatifs. C'est ainsi que je grimpe sur les sommets de la tentaculaire Hong Kong à travers l'escalier mécanique le plus longtemps  du monde. 800 mètres de long, pour me hisser à flanc de coline. Tiens, d'ailleurs, il ne fait que monter. Dans l'autre sens, il faut s'aventurer à travers les méandres des escaliers de béton. Me voilà dans le quartier des affaires. Les banques succèdent aux banques, les établissements financiers s'y font une place. À l'heure de déjeuner, tailleurs et costumes cintrés s'amassent devant les restaurants. La fourmilière grouille. Les enseignes aux idéogrammes de toutes les couleurs s'entrecroisent avec des noms en anglais, dominent la mêlée de piétons, taxis, businessmen, bus et autres vendeurs ambulants, masquant le mauvais état général des immeubles.

Si j'étais un objet, je serai un sac. Une belle marque à l'occidentale, bien chère, qu'on exhibe fièrement. Je suis ce que je possède. Alors si je n'ai pas les moyens d'avoir, je fais comme si... À défaut d'un sac Vuitton, je porte fièrement l'emballage en carton sur mon épaule droite. Pour donner le change. Dans ce ballet sans fin de la société de consommation, il y a aussi les vrais riches. Ceux dont la fortune file le tournis. Il faut dire que pour habiter sur l'île, ce n'est pas un sac à main qu'il faut, c'est une armée de billets de banque! Sur la côte, les villas de luxe s'arrachent à plusieurs dizaines de milliers d'euros de loyer mensuel. A ce prix là, quand meme, la vue est sympa!

Si j'etais une couleur, je serais le vert. Paradoxalement, l'ile est verte à perte de vue. Depuis le Peak Victoria, la vue sur la baie est à couper le souffle. Les gratte-ciel s'articulent comme des cure-dents. Ils se toisent de haut, se font de l'ombre. Dans ce micro-environnement resseré, les espaces verts se font rares. Puis quand on tourne le dos à la City, le regard se porte sur l'autre versant de l'ile, couvert de forêts. Un camaïeu de verts, autant d'essences végétales qui se disputent les flancs de montagne. Les îles avoisinantes sont couvertes de la même toison. Les 130 000 habitants au km2 du quartier de Monkok semblent un mirage. Et pourtant! 

Si j'étais un ingrédient, je serai un de ces trucs étranges de la pharmacopée traditionnelle. Aileron de requin, champignon aux vertues aphrodisiaques ou corne de rhinocéros. Les petites échoppes rivalisent de produits naturels emprunts de superstition. En un instant, on se trouve prejeté en Chine, enfin. Parce que Hong Kong, on a beau dire, ce n'est quand même plus anglais, sans être vraiment chinois non plus. Quoi que... Ils sont nombreux, les bougres!

Si j'étais un élément, je serai l'eau. Parce que mon statut insulaire m'a permis de devenir un comptoir colonial d'envergure. Au fil des années, j'ai pris de l'ampleur. J'ai attiré les marchands du monde entier en cette fin de 19eme siècle florissant. C'est par la force des armes que l'Empire britannique s'impose sur ce caillou tropical  dépeuplé. Les anglais, pris dans une spirale commerciale déficitaire, bousculent l'ordre établi en introduisant l'opium comme monnaie d'échange avec les marchands chinois. Les recettes de l'opium de contrebande rapportent à la grande Bretagne de quoi constituer son armée. Cette dernière est suréquipée face aux troupes chinoises mal équipées. Deux guerres de l'opium ont raison de la domination chinoise. Voilà Hong Kong britannique et fière de l'etre. La voie est ouverte et le vieux caillou devient un haut lieu de l'activité humaine. Nous sommes au milieu du XIXeme siècle. Un siècle plus tard, la cité-État devient la seconde place financière au monde. 

Si j'étais un sens, je serai l'ouïe. Pas un instant sans qu'elle ne soit sollicitée. Tout tintamarre dans cet espace surpeuplé. Les klaxons, les vendeurs criards, les radios hurlantes, les badauds bavards, les sonneries stridentes des téléphones portables . Seules les voitures électriques viennent semer un troublant silence dans ce chaos ambiant.

Hong Kong. Je suis tout cela et bien plus à la fois. Troublante, enivrante, trepignante. À cheval entre deux mondes, l'Orient et l'Occident, j'ai aussi un pieds dans un riche passé et l'autre vers un futur ambigu. Resterais-je accroché à la cité coloniale d'antan, ou serais-je absorbée par la Grande Chine? 
Je me cherche dans cet écrin de complexité, laissant au visiteur rêver devant tant de contradictions.

Bien à toi, lecteur.