vendredi 18 août 2017

[Chapitre 2] Lettre à Gdansk

Gdansk, beauté insoupçonnée. Je te situé sur la carte à travers les manuels d'histoire. Tu as vu basculer l'Europe en 1939. Car c'est ici, au bout du corridor de Dantzig, ton nom allemand, qu'ont eu lieu les premiers combats de la seconde guerre mondiale. C'est ici que le tragique destin de millions d'hommes et de femmes allait se signer, se saigner.
Bombardée, annexée, ruinée, tu t'es relevée. Tu continues à te reconstruire, en témoignent les dizaines de grues qui s'élèvent autour de la vieille ville. Pourtant quelle destinée...
Tour à tour cité autonome au régime souverain et ville annexée par les prussiens, les teutons, les baltes... Tu as construit ta richesse sur le commerce du blé et le transport de marchandises.
L'architecture de la vieille ville en témoigne. Elle a traversé les siècles avec autant d'élégance que de délicatesse. Parmi les hautes maisons colorées, on jongle avec les styles : flamand, gothique, néo-classique, art nouveau, renaissance... Chaque immeuble mérite de s'y arrêter. Derrière chacun une histoire à raconter. Mise à terre, détruite et reconstruite, tu ferais presque oublier les douleurs de ton passé.
Gdansk, je te découvre par la flânerie.
Je me suis assise à la terrasse d'un café pour regarder le balai des badauds : les groupes de touristes allemands et leurs éternelles chaussettes, les convois de poussette, les amoureux transis, les amants inavouables, les couples qui se découvrent, les familles recomposées, la bande de potes venus faire la fête... Tu respires la quiétude. Portraitistes, faiseurs de bulles de savon, marchands d'ambre, pirates et autres troubadours, musiciens... Tous t'animent. Les marchands de glace sont tout aussi nombreux que les cafés. Serait-ce un sport national ? Depuis toujours, tu es l'avant-poste de la liberté.

La liberté. Un mot que tu portes au fond de toi.
1970. Cette date te donne des frissons, ton pays a tant saigné. Un premier soulèvement ouvrier est maté par la violence.
Eté 1980, le prix des denrées alimentaires flambe, des grèves éclatent dans le monde ouvrier. On réclame un syndicat indépendant et autonome, capable de défendre les droits des ouvriers. Les chantiers navals font la fierté et la renommée de toute l'Union Soviétique. C'est pourtant là que la révolte éclate. Le mouvement Solidarnosc durera près de dix ans, alternant clandestinité et percée politique.

Plac Solidarnosc. A l'arrière-plan de ce cliché intemporel, les bras articulés des chantiers navals. On dirait de grosses araignées. Le ciel est gris et bas. L'orage est imminent.
Un homme en bleu de travail arrive des chantiers tout proches. Il s'assied sur un banc, le regard face au monument commémoratif. Quel âge peut-il bien avoir ? Que faisait-il en 1980 ?
Au pied de l'immense mémorial, cette citation traduite en plusieurs langues.
"Aux victimes, dédie à leur mémoire et en signe d'hommage,
Aux gouvernements, en signe d'avertissement qu'aucun conflit social dans notre patrie ne peut être résolu par la force,
Aux concitoyens en signe d'espoir que le mal peut être surmonté."
Nous voilà exactement là où tout à basculé. Là où l'URSS s'est fissurée sous la houlette de Lech Walesa, simple ouvrier, futur Président de la République de Pologne et prix Nobel de la paix. C'était il y a près de 40 ans. Alors lorsqu'un arc en ciel est venu encadrer la place Solidarnosc, les regards se sont arrêtés quelques instants. C'est ma voisine de tram me l'a fait remarquer.

Juillet 2017. Dans les journaux européens, les gros titres trahissent la peur de voir basculer la Pologne hors du cadre de la démocratie.
Souviens-toi, Gdansk, du chemin parcouru. Tout est tellement fragile.
Bien à toi.

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