vendredi 18 août 2017

[Chapitre 5] Riga, du sublime au sinistre

Riga, une petite pépite perchée au nord de la Lettonie. Presque épargnée par les bombardements et le bétonnage soviétique, elle a gardé son cachet d'antan. Une histoire riche qui se conjugue aux passés.
Il y a d'abord la vieille ville avec ses rues médiévales et ses quartiers des XVII-XVIIIèmes siècles. Un repère de fêtards et autres touristes, venus goûter à la vie nocturne grâce aux innombrables bars. Jusque-là, je n'étais pas séduite. Vilnius nous avait offert plus de douceur, plus de mesure et d'intimité.

Le trésor de Riga est de l'autre côté des grands boulevards, dans un quartier jadis sertit de remparts. Face à l'accroissement démesuré de la population, la ville de transforme. Nous sommes au tournant du XXieme siècle. À la même époque, Mucha (Hongrie), Guimart (France), Gaudi (Espagne) ou encore Horta (Bruxelles) font émerger un art total, mêlant tous les artisanats et faisant cohabiter hommes, nature et mythologies. L'Art Nouveau voit le jour, nous sommes en 1900. Riga n'est pas en reste. Cependant, il faudra attendre près d'un siècle avant que sa grandeur soit reconnue par l'UNESCO. Pourtant, quel délice...
Je trépignais d'impatience à l'idée de partir à l'assaut de ce quartier et de ces pages de l'histoire architecturale. Nous y sommes. Là, devant ces chefs d'œuvres oubliés de l'Art du XXeme siècle.
Car ils ne se contentèrent pas de copier, ils créèrent un style letton, inspiré des motifs traditionnels, et puisant leur inspiration dans la mythologie égyptienne et gréco-romaine. On y retrouve le savant mélange des matériaux : fer forgé, céramique, verre, bois... Et des couleurs. Cependant, le style est plus asymétrique, plus déstructuré, comme pour donner plus de tonus et de vitalité.
Riga se visite la tête en l'air. Chaque immeuble donne l'occasion d'un arrêt sur image. Ici des chimères ou des têtes de pélicans, là des balcons aux ferronneries végétales. Je me délecte à chaque angle de rues. Aurélie n'est pas en reste. Guimart nous suit depuis notre premier jeu de piste, dans le 16eme arrondissement. Depuis, elle prend de l'Art nouveau en intraveineuses à chaque visite de capitales européennes. On dirait que ça porte ses fruits. La voilà à l'écoute des lignes verticales, des céramiques turquoise et des arabesques en bois.
Nous nous glissons incognito dans un immeuble lorsqu'un de ses occupants en sort. Une pincée d'interdit, un soupçon de bravoure. Mais le meilleur est dans la rue d'en face. Un incroyable escalier à vis, intégralement peint de motifs végétaux. Nous passons plusieurs heures à déambuler dans le quartier. Nous pourrions encore y rester, à flâner la tête en l'air. Cependant, c'est l'heure du plov. Souvenez-vous, ce plat de riz d'Asie Centrale, cuisiné à l'huile de coton avec du mouton bouilli et des carottes. Nous voilà attablées dans un restaurant ouzbèque, à savourer ce petit trésor venu de loin.

Ainsi s'achève la quiétude et l'insouciance. On ne peut pas échapper à l'Histoire, ni aux histoires. Celles de millions d'hommes et de femmes au destin torturé par un demi-siècle d'horreurs. Nous voilà devant l'ancien siège de la police politique de la République Soviétique Socialiste de Lettonie, le KGB, appelé ici la Tchéka.
À première vue, c'est un bâtiment à la façade défraichie. Comme beaucoup d'autres dans cette artère passante. C'est un immeuble de style Art Nouveau, inoccupé pendant de nombreuses années. Une simple pancarte en longueur indique le lieu. En poussant la porte, on fait un saut dans le temps. Ça commence avec le ticket que la jeune femme nous tend : un papier rose écrit en russe, une imitation de laisser-aller. La décoration défraichie interroge : choix muséographique ou devoir de mémoire? Retour dans les années 70-80, c'est presque hier pourtant. Comme si rien n'avait bougé depuis la chute de l'URSS.
Nous sommes une vingtaine de visiteurs à pousser la porte du fond. Celle qui donne accès à la face cachée et indicible de l'Histoire. Nous entrons dans le cœur du siège du KGB. Salle d'interrogatoires, cellules, lieux d'isolement, cuisines insalubres, salle d'exécution. Le récit de la guide est glaçant. Son ton et sa diction renforcent la pesanteur du lieu. Elle porte le témoignage de son arrière grand-père, et de tant d'autres.
Entre ces murs, les fantômes du passé peinent à se libérer. L'Histoire est encore tellement récente. 1991, c'était hier. Des millions d'hommes et de femmes humiliés, torturés, exécutés, déportés en Sibérie, au Kazakhstan et aux confins de l'Union. Ces pages de l'Histoire dont on parle trop peu, et qui nous reviennent en boomerang en ce début août 2017.
La maison révèle ses sinistres secrets, à l'heure où l'impérialisme russe se fait de moins en moins discret.
La visite se termine. Nous quittons le lieu à travers une porte cochère qui donne sur la cour intérieure. Celle-là même qui servait à évacuer les cadavres des prisonniers exécutés.
Nous voilà de nouveau dans les rues animées de la belle Riga. On aimerait vite fermer cette parenthèse et replonger avec insouciance dans le voyage. Pas si simple...

En route pour notre nouveau logement ! Un voyage sans aléa et sans petits imprévus serait bien fade. Alors on a corsé la sauce. Visiblement on s'est trompé dans l'itinéraire et dans les nuitées. Tout est décalé, il en manque et c'est un peu le bazar... On s'en est aperçu sur un malentendu à Vilnius, au détour d'une conversation anodine avec un couple de retraités français. Alors, zou. Un calendrier sous le coude, cette question récurrente "mais attend, on est quel jour-là?!" et rebelote, réservations et plan B car c'est assez complet en cette saison. Tout roule, c'est corrigé !
Pour notre nuit la plus chère de l'histoire, nous voilà dans un air BNB d'un jeune célibataire. Une sorte de taverne bordélique au septième et dernier étage d'un immeuble 1930. Un loft décadent dans lequel le lit jouxte les toilettes et la baignoire encastrée dans le parquet. Parfait pour notre love story avec Aurélie ! Heureusement qu'on se connait bien car c'est ... Intimiste^^.


Demain, cap sur l'Estonie. 310 km en stop, sous la pluie. On espère de belles rencontres et encore beaucoup de fous rires. Que l'aventure est belle quand elle est partagée !

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