Le train entre en gare. Un lombric métallique, une carcasse
articulée qui s'élance à travers la Pologne pour une course folle. Il fend la
nuit au rythme lent de celui qui n'a pas pour vocation de vaincre les minutes.
22:40. Je prends place dans le compartiment. Ils sont déjà 4
passagers à sillonner la vaste plaine. En face de moi, un jeune homme, la
trentaine dévore frénétiquement son livre de science-fiction. À sa droite, une
dame à l'anglais impeccable, prendra soin de me prévenir à l'approche de ma
station. Elle partage la banquette de velours vert avec un monsieur aux cheveux
blancs et à la chemise damassée.
À cette heure, le bruit des wagons sur les rails rompt le
silence de la nuit. L'engin se met en branle. L'air frais s'engouffre par la
fenêtre. Il s'enroule autour de ma nuque. Je frissonne. Cette odeur... Un
mélange de bitume chaud et de frein fondu. La porte du compartiment claque à
chaque soubresaut de la diligence.
J'aime l'atmosphère surannée des expéditions ferroviaires.
Nul doute que celle-ci sera plus calme que ma dernière virée polonaise.
Août 2012, épopée par le rail d'Istanbul à Faremoutiers, en
Seine et Marne. 5 semaines à travers l'Europe. J'ai rendez-vous à Berlin avec
Axanne. Je dégotté au pied levé une place dans un train de nuit depuis
Cracovie. Dans le compartiment, nous sommes deux, lui et moi. Lui, un jeune
gothique qui descend sans relâche un vin bon marché aromatisé à la cerise,
planqué dans une bouteille de coca. Le type est super bizarre, le compartiment
fermé, porte et fenêtres occultées par les rideaux. "Tu n'as pas peur de voyager
seule? Tu pourrais faire de mauvaises rencontres...". Euh... maintenant
qu'on en en parle... J'étais presque soulagée quand une bande de jeunes
polonais est monté dans le train quelques stations plus tard, joyeusement
ivres, pour taper le carton toute la nuit à grands renforts de vodka !
Le train s'arrête. Je me suis endormie, profondément. Je
regarde mon téléphone. Déjà deux heures écoulées. Le lecteur qui me fait face à
presque terminé son bouquin. Les autres passagers ont changé de place. À ma droite,
le monsieur grisonnant a pris ses aises. Quand je dis "à ma droite"
c'est peu dire. Il dort... Sur mon épaule ! J'échange un regard médusé
avec mes voisins d'en face, qui n'en pensent pas moins. Je gesticule pour le
repousser gentiment. Ça n'a pas l'air de le déranger plus que ça !
Alors, mettons les choses au clair. J'ai sûrement des
épaules moelleuses et confortables, mais elles ne se prêtent pas aux inconnus.
Allez, oust! Je me rendors, lui aussi. Toujours aussi collé... Ca suffit là,
surtout que vous n'avez pas de voisin à votre droite et toute la place pour
vous étaler ! Le message est clair?! Je me mors les joues pour ne pas rire. De
toute façon je descends dans 40 minutes...
Il pleut. Me voilà presque au bout de ma longue
échappée de Joinville à Gdansk. Je saute dans un taxi. Il est 3h du matin
lorsque je me glisse sous la couette. J'ai l'impression d'avoir quitté la
maison depuis une éternité. Demain, je prévois de traverser l'histoire
millénaire d'une des plus vieilles villes d'Europe...
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