vendredi 18 août 2017

[Chapitre 1] Éloge de la lenteur

Le train entre en gare. Un lombric métallique, une carcasse articulée qui s'élance à travers la Pologne pour une course folle. Il fend la nuit au rythme lent de celui qui n'a pas pour vocation de vaincre les minutes.
22:40. Je prends place dans le compartiment. Ils sont déjà 4 passagers à sillonner la vaste plaine. En face de moi, un jeune homme, la trentaine dévore frénétiquement son livre de science-fiction. À sa droite, une dame à l'anglais impeccable, prendra soin de me prévenir à l'approche de ma station. Elle partage la banquette de velours vert avec un monsieur aux cheveux blancs et à la chemise damassée.
À cette heure, le bruit des wagons sur les rails rompt le silence de la nuit. L'engin se met en branle. L'air frais s'engouffre par la fenêtre. Il s'enroule autour de ma nuque. Je frissonne. Cette odeur... Un mélange de bitume chaud et de frein fondu. La porte du compartiment claque à chaque soubresaut de la diligence.

J'aime l'atmosphère surannée des expéditions ferroviaires. Nul doute que celle-ci sera plus calme que ma dernière virée polonaise.
Août 2012, épopée par le rail d'Istanbul à Faremoutiers, en Seine et Marne. 5 semaines à travers l'Europe. J'ai rendez-vous à Berlin avec Axanne. Je dégotté au pied levé une place dans un train de nuit depuis Cracovie. Dans le compartiment, nous sommes deux, lui et moi. Lui, un jeune gothique qui descend sans relâche un vin bon marché aromatisé à la cerise, planqué dans une bouteille de coca. Le type est super bizarre, le compartiment fermé, porte et fenêtres occultées par les rideaux. "Tu n'as pas peur de voyager seule? Tu pourrais faire de mauvaises rencontres...". Euh... maintenant qu'on en en parle... J'étais presque soulagée quand une bande de jeunes polonais est monté dans le train quelques stations plus tard, joyeusement ivres, pour taper le carton toute la nuit à grands renforts de vodka !
Le train s'arrête. Je me suis endormie, profondément. Je regarde mon téléphone. Déjà deux heures écoulées. Le lecteur qui me fait face à presque terminé son bouquin. Les autres passagers ont changé de place. À ma droite, le monsieur grisonnant a pris ses aises. Quand je dis "à ma droite" c'est peu dire. Il dort... Sur mon épaule ! J'échange un regard médusé avec mes voisins d'en face, qui n'en pensent pas moins. Je gesticule pour le repousser gentiment. Ça n'a pas l'air de le déranger plus que ça !
Alors, mettons les choses au clair. J'ai sûrement des épaules moelleuses et confortables, mais elles ne se prêtent pas aux inconnus. Allez, oust! Je me rendors, lui aussi. Toujours aussi collé... Ca suffit là, surtout que vous n'avez pas de voisin à votre droite et toute la place pour vous étaler ! Le message est clair?! Je me mors les joues pour ne pas rire. De toute façon je descends dans 40 minutes...

Il pleut. Me voilà presque au bout de ma longue échappée de Joinville à Gdansk. Je saute dans un taxi. Il est 3h du matin lorsque je me glisse sous la couette. J'ai l'impression d'avoir quitté la maison depuis une éternité. Demain, je prévois de traverser l'histoire millénaire d'une des plus vieilles villes d'Europe...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire