mercredi 3 juin 2015

[Chapitre 17] "Are you a Virgin?"

Questions de mœurs, décalage culturel, différences de perception. Notre voyage vers l'Autre ne cesse de nous surprendre.

Shiraz, jeudi 14 mai. 
Nous sommes accueillies par Amene, rencontrée sur Couchsurfing. Elle est professeur d'anglais, n'a jamais quitté son pays. Elle rêve de venir en France et idéalise Paris. Elle nous reçoit avec son amie et collègue dont nous ne retiendrons pas le prénom. Nous allons passer la soirée et une partie de la journée du lendemain à échanger sur nos visions du monde, de la famille et sur nos modes de vie.
Nous apprendrons qu'elle est fiancée et devrait se marier dans 2 ans. Deux ans auparavant, sa famille lui a présente son cousin. Ils se sont rencontrés une fois puis il a fallu qu'elle se décide. Elle a d'abord refusé, puis elle a réfléchi et a finalement accepté. Il fait son service militaire. Ensuite ils pourront se marier... Elle ne le connait pas vraiment, mais c'est quelqu'un de bien... Je lui ai demandé si elle pouvait refusé, je n'ai pas eu de réponse. En Iran, près de 80% des mariages sont arrangés.
Paradoxalement, les femmes étudient longtemps et il n'est pas rare qu'elles ne soient pas mariées a 30 ans.


Nous avons longuement échanger sur notre conception du mariage et sur l'importance qu'il revêt dans nos deux cultures, sur la place de la religion dans l'Union de deux êtres. Chaque fois, notre vision de la fidélité a été questionnée. Comme si le mariage, ici ou ailleurs, assurait confiance réciproque et intégrité dans le couple. Si c'était seulement vrai! Nous avons lu qu'en Iran, les hommes pouvaient couvrir leurs adultères grâce a un contrat de mariage temporaire, validé par un mollah et autorisé puisque l'islam permet aux hommes de prendre plusieurs épouses.
Les séries télévisées mettent en scène des couples occidentaux infidèles et des histoires de famille rocambolesques. Pas évident d'expliquer que des fictions présentant des familles classiques ne seraient d'aucun intérêt pour les téléspectateurs !


La veille à Ispahan, quelques minutes avant notre départ pour Shiraz, un homme de peut-être soixante ans était venu se joindre a nous. Ancien membre de l'armée de l'air, il parle un anglais impeccable. Nous partageons un morceau de melon et  discutons de mariage et de couple. Il nous dit a quel point c'est important que les femmes soient vierges jusqu'au mariage. "C'est pas comme ça chez vous n'est-ce pas?"
Nous expliquons que dans notre pays, les lois et la religions sont dissociées, que ça relevé donc d'un choix personnel. "And you, are you a Virgin?" demande-t-il en me regardant fixement. J'ouvre des grands yeux. Nous ne nous attendions pas vraiment a cette question. Sans scrupule, j'apporte la réponse sûrement la plus appropriée : cette question ne se pose pas, ce n'est pas correct. Il ne faudrait pas s'imaginer que parce que nous sommes occidentales nous étalons notre vie privée dans un parc public. Le monsieur s'excuse. Changeons de sujet.


" Et que pensez vous de notre gouvernement? ". Autre questions litigieuse, qui impose de marcher sur des œufs. Nous nous baladons dans l'un des nombreux parcs d'Isfahan. Un homme d'un certain âge vient nous questionner sur l'art contemporain en France et le sens de l'art dans l'histoire. Cette discussion de haut vol, presque philosophique, est interrompue par un petit vieux curieux de connaître notre point de vue sur son système politique. Question des plus embarrassantes compte tenu des conséquences possibles d'une réponse trop franche.  Il se fait immédiatement rembarrer sèchement par son compatriote, l'homme d'art. Il lui demande de ne pas embarrasser les touristes avec ces questions la. "Ne parlons pas de politique" comme nous l'ont déjà demandé nos différents interlocuteurs. Bottons en touche, encore une fois. 
Pendant ce temps, Hollande vend des rafales a l'Arabie saoudite, ennemi jure de Téhéran. Nous faisons profil bas...

Retour a Shiraz. Fin de soirée devant la forteresse. Je me suis allongée sur un muret pour rédiger quelques lignes de mon carnet de voyage. Une silhouette barbue, au teint basané, aux vêtements beiges s'arrête auprès de moi. D'un ton sévère, il me demande je ne sais quoi. J'en déduis que je suis priée de me rhabiller et de changer de position. Mon gilet laissait peut être apparaître le haut de mon cou, a moins qu'il ne soit pas toléré de s'allonger dans le parc pour une jeune femme. Cet homme, en civil, fait probablement partie de la police des mœurs. Elle rode dans les parcs et les lieux publics pour s'assurer du respect de la loi islamique.

Elle a bon dos, la loi islamique! Il semble tellement facile de la contourner. On trouve de tout en Iran : alcool, cigarettes, drogues. Sans compter les femmes qui se rachètent une virginité à coup de chirurgie esthétique... Au supermarché, nous discutons avec un jeune iranien. Il a fait des études de langue et était traducteur. Il n'a jamais pu quitter le pays. Pour cela il faut avoir fait son service militaire, ce n'est pas son cas. Je n'arriverais pas à savoir pourquoi . De nombreuses portes se ferment officiellement à lui: mariage, prêt bancaire, autorisation de sortie de territoire. Bien sur, tout s'arrange, sous le manteau. "En Iran tout est interdit, mais rien n'est impossible" nous dit-il. Il a d'ailleurs pu épouser sa femme, par un bais détourné. Pour quitter le pays, c'est plus compliqué car l'ID cart est désormais électronique. Mais on peut quand même s'arranger !

A demi mot, a l'abri des oreilles indiscrètes, les critiques du régime actuel ne sont pas rares. A plusieurs reprises nous avons entendu dire : "Au temps du Shah, on était libre".

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