vendredi 23 janvier 2015

[Chapitre 6] Tout plaquer pour vivre au bout du monde

Taganga, 3 janvier 2015, 

Me voilà échouée au pays des hippies et des fumeurs de marihuana. Tatouages, dreds locks, nus pieds. On se croirait tout droit sorti de Woodstock. Bof...


La plage est noire de monde. Le charmant village de pêcheurs d'antan est devenu un incontournable du Gringo Trail, comprenez des jeunes touristes étrangers venus pour faire la fête sur les côtes colombiennes. Re-bof...

A la recherche d'un petit coin pour diner, je tombe presque par hasard sur  "A derivio", une charmante devanture toute en délicatesse, charme raffiné, au ton juste. Ça sent la French Touch à plein nez. Je me hasarde à un "¿Hables frences?" auquel Delphine répond avec un grand sourire "Oui, bien sûr". Ainsi allait commencer une excellente soirée, qui se prolongerait encore plus tard le lendemain...

Delphine au service, Jérôme son compagnon en cuisine. Elle était chargée de communication a l’EDHEC, lui cuisinier chez Fauchon. Ils se sont rencontrés avec des envies de bout du monde. Ils ont tout quitté il y a 4 mois pour tenter l'aventure colombienne après un séjour coup de cœur en mars dernier.

Jean Noel leur a filé de pouce pour démarrer le buisines. Depuis hier, il est à la plonge.
Jean Noel, skipper au long court, a 70 ans et des milliers de kilomètres dans les voiles. Il a passé sa vie en mer, sur un catamaran. D'abord en méditerranée, il a ensuite mis le cap sur les Antilles. La Barbade, la Réunion, ... 
Années 80, coup d'état en Haïti. Dans un bar mafieux, il est repéré par un caïd de la place. De fil en aiguille, il se met à  transporter des haïtiens fuyant le régime. Il les convoie en France, sur l'ile de la Réunion. 1000USD par tête, l’Age d'or. Du trafic d'immigres penseront certain, de l'humanitaire d'iront d'autres. Le premier jour, il en a eu 22. Ça a duré plusieurs mois. Ensuite les américains lui ont piqué le marché. Ils se sont portés libérateurs d'Haïti, ils ont du même coup tué la poule aux yeux d'or.
Jean Noel a mis le cap sur le Venezuela. C'était avant le tourisme de masse, avant Chavez, avant l'insécurité. C'était du tourisme huppé, des européens aisés qui débarquaient emmitouflés dans leurs pullovers dans une baie encore sauvage, tout juste descendus d'un petit coucou après une escale expresse à Caracas. Au bout de la piste, la mer et le catamaran de Jean No. Il y a aussi eu des pécheurs sportifs a mouche, venus pécher un poisson plein d'arrêtes dans des lagons cristallins, prêts à débourser une petite fortune pour ce qui se fait de mieux en pêche sportive. C'était le bon temps tout cela. Des milliers de dollars en poche, ça aurait pu durer des années.
Et puis le vieux loup de mer a été rattrapé par le cancer. Dégât collatéral de son service militaire à Mururoa, aux essais nucléaires. Et puis tout s'enchaine. Le bateau mis au nom du fils de sa compagne, celle-ci qui se tire avec. Officiellement il a coulé. Jean Noel affirme que non... Il a des contacts dans le milieu. Le rafiot navigue encore.


Je bois les récits du globetrotteur. Il me parle pêle-mêle des indiens d’Amazonie chez qui il a passé 15 jours, des Alizées qui secouent la cote colombienne en ce moment, de ses femmes successives et des tracas qu'elles lui ont apporté, de sa nouvelle vie en Colombie avec sa compagne de 20 ans sa cadette. Entre deux histoires, un verre de vin. Son péché mignon c'est la bouteille. Il le sait "faut bien mourir de quelque chose hein...". Il me propose une cigarette. Pas n'importe laquelle, de la contrebande vénézuélienne. 10 centimes le paquet au Marché Noir, imbattable. Il a ses filons: cigarette, alcool... Tout le monde le sait, faut juste rien dire!

On bavarde longtemps. Entre deux histoires il file à la plonge.

22:30, la petite Marine doit regagner ses pénates. Demain matin, direction le parc Naturel de Tayrona...


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